Le débiteur de l’indemnité d’éviction en cas de démembrement de la propriété

Article publié au sein de la « Revue des Loyers» n°1003 de janvier 2020

Cass. 3e civ., 19 déc. 2019, n° 18-26.162, P+B+I

Mots-clés : Bail commercial • Démembrement de la propriété • Nu-propriétaire • Usufruitier • Congé • Indemnité d’éviction

Textes visés : Code de commerce – Article L. 145-14 – Code civil – Article 595
Repère : Le Lamy Baux commerciaux, n° 420-11

En cas de démembrement de propriété, seul l’usufruitier a la qualité de bailleur et doit, en conséquence, assumer, le cas échéant, le paiement de l’indemnité d’éviction due au preneur à bail commercial.

ANALYSE

La détermination du débiteur de l’indemnité d’éviction constitue un enjeu majeur en matière de baux commerciaux dans la mesure où le montant de l’indemnité d’éviction peut être conséquent et dépasser, dans certains cas, la valeur des murs.

À cet égard, afin notamment de protéger le preneur, la vente de l’immeuble ne décharge pas le précédent bailleur de payer l’indemnité d’éviction, même si l’acte de vente prévoit que l’acquéreur est seul débiteur de l’indemnité d’éviction. En effet, il s’agit d’une délégation imparfaite, de sorte que le locataire peut valablement demander le paiement de l’indemnité d’éviction à l’ancien bailleur qui a délivré le congé mais également au nouveau propriétaire 1.

Qu’en est-il en cas de démembrement de la propriété ?

Dans le cadre d’un arrêt motivé, la Cour de cassation définit de manière didactique qui est le débiteur de l’indemnité d’éviction en cas de démembrement de la propriété, en se fondant sur les obligations de l’usufruitier en matière de bail commercial, qui a seul la qualité de bailleur (II). Il convient préalablement de présenter les faits d’espèce et la solution retenue (I).

I – Sur les faits d’Espèce et la solution retenue

Dans le cadre de l’arrêt commenté, un usufruitier et un nu-propriétaire avaient délivré ensemble un congé comportant refus de renouvellement sans offre d’indemnité d’éviction à leur locataire.

Ce congé a par la suite été déclaré sans motif grave et légitime, de sorte que le preneur avait droit au versement d’une indemnité d’éviction puisque le congé qui lui avait été délivré avait mis fin au bail commercial dont il était titulaire.

La question qui se posait alors était de savoir qui était débiteur de cette indemnité d’éviction puisque le congé avait été délivré, d’une part, par l’usufruitier et, d’autre part, par le nu-propriétaire.

L’arrêt ayant fait l’objet d’un pourvoi prévoyait une condamnation solidaire du nu-propriétaire et de l’usufruitière pour régler l’indemnité d’éviction due au locataire.

Cet arrêt rendu par la Cour d’appel de Toulouse le 3 octobre 2018 est censuré au motif que seul l’usufruitier est débiteur de l’indemnité d’éviction, quand bien même le congé a également été délivré par le nu-propriétaire.

Pour arriver à cette solution, la Cour de cassation fonde son analyse sur les obligations pesant sur l’usufruitier qui a, seul, la qualité de bailleur.

II – Sur les obligations de l’usufruitier, qui a, seul, la qualité de bailleur

Dans le cadre d’une motivation détaillée, la Haute juridiction prend la peine de rappeler que, en cas de démembrement de la propriété, l’usufruitier ne peut pas consentir un bail commercial ou même le renouveler sans le concours du nu-propriétaire, et ce en application de l’article 595, alinéa 4, du Code civil qui dispose : « L’usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal. À défaut d’accord du nu-propriétaire, l’usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte » 2.

La Cour de cassation cite, à cet égard, un arrêt du 24 mars 1999 3 aux termes duquel cette impossibilité pour l’usufruitier de conclure un bail commercial porte tant sur la conclusion du bail initial que sur le renouvellement puisque le texte de l’article 595, alinéa 4, du Code civil interdit en principe à l’usufruitier de « donner à bail (…) un immeuble à usage commercial » sans distinguer s’il s’agit de la conclusion du bail initial ou du renouvellement de bail 4.

La Cour de cassation passe ensuite à la seconde étape de son raisonnement consistant à distinguer la situation de la conclusion du bail de la situation relative à la délivrance d’un congé.

En effet, la Haute juridiction rappelle que l’usufruitier a le pouvoir de mettre fin au bail commercial et de notifier, en conséquence, au preneur un congé avec refus de renouvellement sans que le concours du nu-propriétaire ne soit nécessaire.

Elle cite à cet égard un arrêt du 29 janvier 1974 5 aux termes duquel l’usufruitier peut valablement délivrer un congé à un locataire, sans avoir à recueillir l’accord de son nu-propriétaire.

En conséquence, il convient de distinguer la situation de l’usufruitier selon qu’il s’agit :

  • de conclure un bail (qu’il s’agisse du bail initial ou d’un renouvellement) : en ce cas, l’usufruitier doit recueillir l’accord du nu-propriétaire ou, le cas échéant, une autorisation judiciaire ;
  • de délivrer un congé : dans une telle situation, l’usufruitier peut intervenir seul, sans l’accord du nu-propriétaire, puisqu’aucune disposition de l’article 595 du Code civil ne vient limiter les pouvoirs de l’usufruitier.

Indépendamment de cette distinction, qui repose sur l’étendue des pouvoirs de l’usufruitier, la Cour de cassation justifie la censure de l’arrêt de la cour d’appel par le fait que seul l’usufruitier à la qualité de bailleur et qu’il doit, à cet égard, assumer toutes les obligations du bailleur vis à vis du preneur.

Il est vrai qu’en application d’une jurisprudence établie 6, l’usufruitier a la qualité de bailleur et il doit en conséquence supporter, seul, les réparations et travaux exigibles au regard de son obligation de délivrance.

Toutefois, en l’espèce, le congé a été signifié par l’usufruitier et le nu-propriétaire.

Dans ces conditions, il aurait été possible de considérer que l’usufruitier et le nu-propriétaire, qui ont décidé d’un commun accord de délivrer un congé comportant refus de renouvellement, devaient être solidairement tenus au paiement de l’indemnité d’éviction.

La Cour de cassation a privilégié une interprétation stricte des dispositions relatives au démembrement de propriété en considérant que, dans la mesure où seul l’usufruitier a, en principe, la qualité de bailleur, le nu-propriétaire ne peut pas être condamné solidairement à régler ladite indemnité.

À cet égard, il convient de rappeler qu’en cas d’indivision, l’indemnité d’éviction est due par chacun des indivisaires.

Toutefois, cette responsabilité solidaire des différents indivisaires à comme corollaire le fait que le refus de renouvellement doit, sous peine de nullité, être signifié au nom et avec l’autorisation de chacun des coindivisaires ou, le cas échéant, après l’autorisation prévue par les articles 818-5 ou 815-6 du Code civil.

Par Hanan CHAOUI
Docteur en droit,
Avocat Associé,
Delcade, société d’avocats

1 Cass. 3e civ., 30 mai 2001, n° 00-10.111, Bull. civ. III, n° 69.

2 « L’usufruitier peut jouir par lui-même, donner à bail à un autre, même vendre ou céder son droit à titre gratuit. Les baux que l’usufruitier seul a faits pour un temps qui excède neuf ans ne sont, en cas de cessation de l’usufruit, obligatoires à l’égard du nu-propriétaire que pour le temps qui reste à courir, soit de la première période de neuf ans, si les parties s’y trouvent encore, soit de la seconde, et ainsi de suite de manière que le preneur n’ait que le droit d’achever la jouissance de la période de neuf ans où il se trouve. Les baux de neuf ans ou au-dessous que l’usufruitier seul a passés ou renouvelés plus de trois ans avant l’expiration du bail courant s’il s’agit de biens ruraux, et plus de deux ans avant la même époque s’il s’agit de maisons, sont sans effet, à moins que leur exécution n’ait commencé avant la cessation de l’usufruit. L’usufruitier ne peut, sans le concours du nu-propriétaire, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal. A défaut d’accord du nu-propriétaire, l’usufruitier peut être autorisé par justice à passer seul cet acte » (C. civ., art. 595).

3 Cass. 3e civ., 24 mars 1999, n° 97-16.856, Bull. civ. III, n° 78.

4 Il convient à cet égard de préciser que par un arrêt du 14 mars 2019 (Cass. 3ème civ. 14 mars 2019, n°17-27560), la Cour de cassation a déclaré nul un avenant conclu par un usufruitier, sans l’accord des nues-propriétaires, et qui prévoyait une réduction du loyer prévu dans le bail commercial.

5 Cass. 3e civ., 29 janv. 1974, n° 72-13.968, Bull. civ. III, n° 48.

6 Voir notamment, Cass. 3e civ., 13 déc. 2005, n° 04-20.567.

TEXTE DE LA DÉCISION (EXTRAITS)

« Sur le premier moyen :
Vu l’article 595, alinéa 4, du Code civil, ensemble l’article L. 145-14 du Code du commerce ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 3 octobre 2018), que, le 5 mars 2004, Mme X veuve V, usufruitière, et Mme D, nue-propriétaire, d’un immeuble à usage commercial, ont délivré à M. et Mme T, preneurs, un refus de renouvellement du bail sans indemnité d’éviction, lequel, par arrêt du 20 février 2008, a été déclaré sans motif grave et légitime ;
Attendu que, pour condamner in solidum Mmes X veuve V et D à payer l’indemnité d’éviction due aux preneurs, l’arrêt retient que Mme V et Mme D, laquelle a la qualité de bailleur, ayant, ensemble, fait délivrer un refus de renouvellement, sont toutes les deux redevables de l’indemnité d’éviction dès lors que l’acte de refus de renouvellement excède les pouvoirs du seul usufruitier ;

Attendu qu’en cas de démembrement de propriété, l’usufruitier, qui a la jouissance du bien, ne peut, en application de l’article 595, dernier alinéa, du Code civil, consentir un bail commercial ou le renouveler sans le concours du nu-propriétaire (3e Civ., 24 mars 1999, pourvoi n° 97-16.856, Bull. 1999, III, n° 78) ou, à défaut d’accord de ce dernier, qu’avec une autorisation judiciaire, en raison du droit au renouvellement du bail dont bénéficie le preneur même après l’extinction de l’usufruit ;
Qu’en revanche, l’usufruitier a le pouvoir de mettre fin au bail commercial et, par suite, de notifier au preneur, sans le concours du nu-propriétaire, un congé avec refus de renouvellement (3e Civ., 29 janvier 1974, pourvoi n° 72-13.968, Bull. 1974, III, n° 48) ;
Qu’ayant, seul, la qualité de bailleur dont il assume toutes les obligations à l’égard du preneur, l’indemnité d’éviction due en application de l’article L. 145-14 du Code de commerce, qui a pour objet de compenser le préjudice causé au preneur par le défaut de renouvellement du bail, est à sa charge ;

Qu’en condamnant la nue-propriétaire, in solidum avec l’usufruitière, alors que l’indemnité d’éviction n’était due que par celle-ci, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS,
CASSE ET ANNULE (…) ».

Cass. 3e civ., 19 déc. 2019, n° 18-26.162, P+B+I

Les formes du congé du bail commercial

Article publié au sein de la « Revue des Loyers» n°1001 de novembre 2019

Cass. 3e civ., 24 oct. 2019, n° 18-24.077, P+B+I

Mots-clés : Bail commercial • Congé • Acte d’huissier • Lettre recommandée • Nullité
Textes visés : Code de commerce – Articles L. 145-4 et L. 145-9
Repère : Le Lamy Baux commerciaux, n° xxx
Le preneur titulaire d’un bail commercial peut valablement délivrer un congé à l’expiration d’une période triennale, soit par acte extrajudiciaire, soit par lettre recommandée.

ANALYSE

La forme que doit revêtir le congé mettant fin au bail commercial fait régulièrement l’objet d’un contentieux. L’enjeu est important puisqu’en cas de nullité du congé délivré par le preneur, ce dernier est tenu de continuer à régler les loyers et charges dus au titre du bail.
Un bref rappel historique est nécessaire (I), avant d’analyser la solution rendue dans l’arrêt commenté (II).

I – RAPPEL HISTORIQUE DU FORMALISME APPLICABLE AUX CONGÉS

Avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, dite loi Pinel 1, le congé devait être signifié par acte d’huissier, conformément aux dispositions de l’article L. 145-9 du Code de commerce, dans sa version alors applicable.
De nombreux baux prévoyant la possibilité de délivrer un congé par lettre recommandée, un contentieux a alors surgi concernant la validité d’une telle clause contractuelle.

La Cour de cassation a toutefois considéré que le congé devait être signifié par exploit d’huissier 2, conférant ainsi à l’article L. 145-9 du Code de commerce, sur ce point, un caractère d’ordre public, alors même qu’il n’était pas visé par les dispositions de l’article L. 145-15 du même code.

En conséquence, avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, dite loi Pinel, les congés délivrés par lettres recommandées n’étaient pas valables 3.

Le droit positif semblait être établi, lorsque la loi du 18 juin 2014 est venue modifier les dispositions de l’article L. 145-9 du Code de commerce afin de prévoir que le bailleur comme le preneur pouvaient signifier un congé soit par lettre recommandée, soit par acte d’huissier 4.

Le but était, semble-t-il, de faciliter la délivrance des congés et d’économiser les frais liés à la délivrance d’un acte d’huissier, alors même que la délivrance d’un congé par lettre recommandée est susceptible de soulever des problèmes de sécurité juridique, notamment lorsque le destinataire refuse de récupérer le courrier recommandé. À l’inverse, une telle difficulté ne se rencontre pas en présence d’un acte d’huissier puisque les dispositions de l’article 659 du Code de procédure civile permettent de signifier valablement un acte à une personne absente ou qui refuse de recevoir l’acte.

En tout état de cause, indépendamment des considérations d’ordre pratique qui ont amené de nombreux praticiens à recommander la délivrance des congés par acte d’huissier plutôt que par lettre recommandée, la loi du 6 août 2015, dite loi Macron 5, a modifié de nouveau les articles L. 145-4 et L. 145-9 du Code de commerce, revenant en partie sur les modifications issues de la loi Pinel, un an après son entrée en vigueur.

En effet, d’après l’article L. 145-9 du Code de commerce, dans sa version issue de la loi du 6 août 2015, la délivrance du congé doit intervenir par exploit d’huissier :

« Par dérogation aux articles 1736 et 1737 du Code civil, les baux de locaux soumis au présent chapitre ne cessent que par l’effet d’un congé donné six mois à l’avance ou d’une demande de renouvellement. (…) Le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné (…) ».

Toutefois, par dérogation à cet article, l’article L. 145-4 du Code de commerce prévoit que le preneur a la possibilité de délivrer, à l’expiration d’une période triennale, un congé soit par lettre recommandée soit par acte d’huissier.

Le but de la loi du 6 août 2015 était, en fait, de réserver la possibilité de délivrer un congé par lettre recommandée aux seuls locataires et d’imposer aux bailleurs la délivrance d’un congé par acte d’huissier.

II – LA SOLUTION RENDUE PAR L’ARRÊT DU 24 OCTOBRE 2019

L’arrêt commenté du 24 octobre 2019 porte sur des faits assez classiques. Un locataire principal sous-loue une partie des locaux loués à un sous-locataire. Ce dernier souhaite résilier le bail de sous-location à l’échéance de la seconde période triennale et délivre, à cet effet, un congé par un courrier recommandé du 18 février 2016.
Le locataire principal, en sa qualité de bailleur, conteste la validité du congé délivré par son sous-locataire au motif qu’il a été délivré par lettre recommandée et non par exploit d’huissier et sollicite, en conséquence, le paiement des loyers postérieurs à la date de la seconde échéance triennale.

La Cour d’appel de Caen donne raison au bailleur et considère que le congé doit être nul dans la mesure où, en application de l’article L. 145-9 du Code de commerce, dans sa version applicable au 18 février 2016, correspondant à la date de délivrance du congé par le sous-locataire, le preneur ne pouvait délivrer un congé que par exploit d’huissier.

En effet, conformément à une jurisprudence constante, les nouvelles dispositions relatives au formalisme des congés sont d’application immédiate aux contrats en cours, en application de la théorie des effets légaux du contrat 6.

Néanmoins, la cour d’appel a considéré que seul l’article L. 145-9 du Code de commerce était applicable alors :

  • qu’il s’agit d’un article qui est applicable de manière générique tant au bailleur qu’au preneur ;
  • et qu’en vertu de l’article L. 145-4 du Code de commerce, qui ne vise que le preneur, ce dernier dispose de la possibilité de délivrer un congé par exploit d’huissier ou par lettre recommandée 7.

Au surplus, l’article L. 145-4 du Code de commerce est d’ordre public (puisqu’il est visé par l’article L. 145-15 du Code de commerce qui lui-même vise l’ensemble des dispositions impératives du statut des baux commerciaux), de sorte qu’il n’est pas possible d’y déroger pour contraindre, par exemple, le preneur à ne délivrer un congé que par exploit d’huissier.

La censure de la Cour de cassation était donc inévitable et la Haute juridiction reproche à la cour d’appel d’avoir violé les textes applicables en refusant d’appliquer l’article L. 145-4 du Code de commerce et en effectuant une application erronée de l’article L. 145-9 dudit code.

Le congé est donc validé et le sous-locataire va pouvoir, devant la cour d’appel de renvoi, solliciter le remboursement du paiement des loyers postérieurs à la date d’effet de la seconde période triennale.

La publicité donnée par la Cour de cassation à cet arrêt qui a été publié sur son site internet a pour but d’alerter les praticiens sur cette question qui, même si elle ne fait pas débat, est encore une source d’erreurs.

Hanan CHAOUI
Docteur en droit,
Avocat Associé,
Delcade, société d’avocats.

1 L n°2014-626,18 juin 2014,JO 19 juin
2 Voir par exemple,Cass.3e civ., 20 déc. 1982,n°81-13.495, Bull. civ. III, n°257.
3 En revanche, il convient de relever que la Haute juridiction a jugé que le bailleur, professionnel de l’immobilier, commettait une faute en n’alertant pas le locataire sur l’irrégularité du congé que celui-ci lui avait donné par lettre recommandée, et qu’en conséquence il devait réparer au locataire le préjudice subi du fait de la continuation du bail, à savoir en l’espèce le montant des loyers : Cass. 3e civ., 5 nov. 2003, n° 01-17.530, Bull. civ. III, n° 189.
4 « Le congé doit être donné par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire, au libre choix de chacune des parties. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d’une indemnité d’éviction, doit saisir le tribunal avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné » (C. com., art. L. 145-9, issu de L. n° 2014-626, 18 juin 2014).
5 L.n°2015-990, 6 août 2015, JO 7 août.
6 Cass. 3e civ., 3 juill. 2013, n° 12-21.541, Bull. civ. III, n° 89.
7 « La durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans. Toutefois, le preneur a la faculté de donner congé à l’expiration d’une période triennale, au moins six mois à l’avance, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire (…) » (C. com., art. L. 145-4, issu de L. n° 2015-990, 6 août 2015).

TEXTE DE LA DÉCISION (EXTRAITS)

« Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 145-4 et L. 145-9 du Code de commerce, dans leur rédaction issue de la loi du 6 août 2015 ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Caen, 6 septembre 2018), que, le 1er septembre 2010, la société Sanor Aeos, locataire principale de locaux à usage commercial, en a sous-loué une partie à la société Qualiterre ; que, par lettre recommandée du 18 février 2016, celle-ci lui a donné congé pour l’échéance triennale du 1er septembre 2016 ;
Attendu que, pour déclarer nul ce congé, l’arrêt retient que le congé visant à mettre un terme à un bail commercial ne peut être délivré par le preneur que dans les délais et suivant les modalités prévues par l’article L. 145-9 du Code de commerce qui, dans sa version applicable au 16 février 2016 et issue de la loi du 6 août 2015, imposait la délivrance du congé par acte extrajudiciaire ;
Qu’en statuant ainsi, alors que l’article L. 145-4, dans sa rédaction issue de la loi du 6 août 2015, confère au preneur la faculté de donner congé à l’expiration d’une période triennale, au moins six mois à l’avance, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire, la cour d’appel a violé les textes susvisés, le premier par refus d’application et le second par fausse application ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE (…) ».

Cass. 3e civ., 24 oct. 2019, n° 18-24077, P+B+I

L’incidence du renouvellement de bail sur l’indexation conventionnelle

Article publié au sein de la « Revue des Loyers» n°992 de décembre 2018

Cass. 3e civ., 13 sept. 2018, n° 17-19.525, P+B+I

Une clause d’indexation conventionnelle du loyer ne saurait être réputée non écrite au seul motif que le renouvellement du bail a créé un décalage entre la date d’indexation du loyer et la date de prise d’effet du bail renouvelé.

Analyse : La Cour de cassation affine sa jurisprudence relative aux clauses d’indexation en considérant, de manière pragmatique, que la distorsion prohibée par l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier n’est caractérisée que lorsque cette distorsion résulte de la clause d’indexation, et non lorsque la distorsion résulte du décalage entre la date d’effet du renouvellement d’un bail commercial et la date d’indexation du loyer.

De fait, les baux commerciaux sont amenés à durer et à être renouvelés puisque le preneur dispose en principe d’un droit perpétuel au renouvellement de son bail. Dans ces conditions, la clause d’indexation insérée dans le bail initial est susceptible de trouver à s’appliquer dans le cadre des différents renouvellements, notamment lorsque les parties n’ont pas pu (ou voulu) conclure un acte de renouvellement.

Toutefois, compte tenu de la possibilité pour les parties de laisser le bail se poursuivre au-delà de son terme contractuel, ou encore, compte tenu notamment de la possibilité pour le bailleur d’exercer son repentir, la date du renouvellement peut aisément connaître un décalage par rapport à la date d’indexation qui correspond le plus souvent à la date de prise d’effet du bail, ou au 1er janvier de chaque année.

Tel est le cas dans l’espèce dont a eu à connaître la Cour de cassation.

En effet, un locataire, titulaire d’un bail commercial ayant pris effet le 1er janvier 1994, se voit dans un premier temps refuser le renouvellement de son bail.

Le bailleur décide ensuite d’exercer son droit de repentir, en application des dispositions de l’article L. 145-58 du Code de commerce, et d’offrir au locataire le renouvellement du bail à compter du 1er février 2006 1.

La clause d’indexation insérée dans le bail initial prévoyait une indexation conventionnelle du loyer à la date anniversaire de la prise d’effet du bail, soit le 1er janvier de chaque année. En application du principe selon lequel les baux commerciaux sont renouvelés moyennant les clauses et conditions du bail expiré, sauf le loyer qui reste à fixer, la clause d’indexation issue du bail initial et prévoyant une indexation du loyer le 1er janvier de chaque année, en fonction de la variation de l’indice du coût de la construction du deuxième trimestre, reste applicable dans le cadre du renouvellement de bail à effet du 1er février 2006.

La question de la validité de cette clause d’indexation se pose alors dans le cadre du renouvellement du bail qui intervient à effet du 1er février 2006 : en effet, à la suite du renouvellement du bail, le loyer est indexé la première fois le 1er janvier 2007, alors même que le nouveau loyer n’a pris effet que depuis onze mois (à savoir depuis le 1er février 2006).

En application d’une jurisprudence qui est désormais établie, les clauses d’indexation comportant un indice de référence sont licites dès lors qu’elles n’organisent pas une distorsion entre, d’une part, la période d’indexation et, d’autre part, la période de variation de l’indice 2.
En effet, en application des dispositions de l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier, est interdite toute distorsion entre, d’une part, la période de variation de l’indice et, d’autre part, la période d’indexation.

En l’espèce, la période d’indexation est de onze mois alors que la période de variation de l’indice est de douze mois. C’est sur la base de ce constat que la Cour d’appel de Versailles a considéré que la clause d’indexation devait être réputée non écrite.

La Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles au motif que la distorsion ne résultait pas de la clause d’indexation elle-même, mais du décalage entre la date de renouvellement et la date d’indexation du louer.

Cette position pragmatique de la Cour de cassation, qui a censuré l’arrêt de la cour d’appel sur le fondement de l’article L. 112-1, alinéa 2, du Code monétaire et financier, semble s’expliquer par le fait qu’il serait aisément possible pour l’une des parties de choisir, à dessein, une date de renouvellement distincte de la date à laquelle l’indexation doit, en principe, intervenir pour, ensuite, venir contester la clause d’indexation, ce qui amènerait les juridictions à traiter un flot de dossiers conséquents et pourrait être considéré comme une manœuvre frauduleuse de surcroît.

C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation pose le principe selon lequel seules les distorsions qui sont contenues dans la clause d’indexation elle-même sont de nature à être réputées non écrites.

Il convient de saluer cette décision qui a le mérite de ne pas faire un excès de juridisme.

Cette décision de la Haute juridiction s’inscrit d’ailleurs dans la lignée d’un arrêt rendu le 17 mai 2018 3 concernant l’incidence d’une révision légale sur une clause d’indexation : à l’occasion de cet arrêt, la Cour de cassation a considéré que la révision d’ordre public instaurée par l’article L. 145-39 du Code de commerce ne saurait organiser elle-même la distorsion qui est prohibée par l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier.
La différence est qu’en matière de révision légale, la Cour de cassation avait pu fonder sa décision sur l’article R. 145-22 du Code de commerce 4, qui confie au juge la tâche d’adapter la clause d’indexation en fonction de la date de révision.
Tel n’est pas le cas en matière de renouvellement.
Pour autant, la question qui demeure en suspens est de savoir comment traiter la première indexation qui suit le renouvellement de bail. En effet, si la clause d’indexation n’est pas réputée non écrite, est-il pour autant possible de neutraliser ou, en tous cas, d’aménager l’indexation lors de la première année ?

La solution pourrait être d’adapter la première année de l’indexation en prenant en compte une variation de l’indice inférieure à un an. D’ailleurs, à défaut d’accord entre les parties, le bailleur pourrait avoir intérêt à proposer et appliquer cet aménagement de la première indexation suivant le renouvellement. De fait, le risque lié à la validité de la clause d’indexation est préjudiciable au seul bailleur. La prudence reste donc de mise en matière de clause d’indexation.

Hanan CHAOUI
Docteur en droit,
Avocat Associé,
Delcade, société d’avocats

1 En effet, en application de l’article L. 145-12 du Code de commerce, dernier alinéa, lorsque le bailleur offre le renouvellement de bail après l’avoir refusé, le bail renouvelé prend effet à compter du jour où le repentir est notifié au preneur.
2 Cass. 3e civ., 16 oct. 2013, n° 12-16.335, Bull. civ. III, n° 129, Rev. loyers 2013/942, n° 1692, note Chaoui H. et Vaissié M.-O. : Validité des clauses d’indexation comportant un indice de base unique sous réserve de l’interprétation de la volonté des parties ; Cass. 3e civ., 11 déc. 2013, n° 12-22.616, Bull. civ. III, n° 159, Rev. loyers 2014/943, n° 1718, note Chaoui H. et Vaissié M.-O. :Validation des clauses d’indexation comportant un indice de base fixe.
3 Cass. 3e civ., 17 mai 2018, n° 17-15.146, à paraître au Bulletin, Rev. loyers 2018/990, n° 2948, note Chaoui H. : Indexation conventionnelle et révision dite des 25 % : les interférences autorisées.
4 C. com., art. R. 145-22 : « Le juge adapte le jeu de l’échelle mobile à la valeur locative au jour de la demande ».

TEXTE DE LA DÉCISION (EXTRAITS)

« Sur le premier moyen :
Vu l’article L. 112-1, alinéa 2, du Code monétaire et financier ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 25 avril 2017), que, le 29 décembre 1993, la société Yvelines investissements, aux droits de laquelle se trouve la SCI Chartrinvest (la SCI), a donné à bail à la société Chartraine de textiles manufacturés, aux droits de laquelle se trouve la société Eurodif, des locaux commerciaux à compter du 1er janvier 1994 ; qu’après avoir refusé de renouveler le bail, la SCI a exercé son droit de repentir et offert à la société locataire le renouvellement du bail au 1er février 2006, puis l’a assignée en fixation du montant du loyer révisé ; que la société locataire a demandé que la clause d’indexation prévue au bail soit réputée non écrite ;

Attendu que, pour accueillir la demande de la société Eurodif, l’arrêt retient que l’application de la clause d’indexation insérée au bail renouvelé engendre une distorsion entre l’intervalle de variation indiciaire (2e trimestre 2005 – 2e trimestre 2006 : 12 mois) et la durée écoulée entre les deux révisions (1er février 2006 au 1er janvier 2007 : 11 mois) et que cette distorsion opère mécaniquement un effet amplificateur lors des indexations suivantes pendant toute la durée du bail ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la distorsion retenue ne résultait pas de la clause d’indexation elle-même, mais du décalage entre la date de renouvellement du bail intervenu le 1er février 2006 et la date prévue pour l’indexation annuelle du loyer fixée au 1er janvier 2006, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, (…) :

CASSE ET ANNULE, (…) ».

CASS. 3e CIV., 13 SEPT. 2018, N° 17-19.525, P+B +I

Les travaux de remise en état de fin de bail

Article publié au sein de la Revue « L’Argus de l’Enseigne » n°54 d’avril 2018

Le bail commercial est amené à durer, et à perdurer, compte tenu notamment du droit au renouvellement dont le preneur bénéficie, en principe. C’est sous doute une des raisons pour lesquelles la question des travaux de remise en état en fin de bail n’est pas, dans certaines situations, assez anticipée par les parties.

En outre, lorsqu’un preneur restitue les locaux, il se projette dans un « après » dans lequel toute somme à débourser au titre des locaux restitués est considérée comme un surcoût. De son côté, le bailleur considère que la restitution des locaux constitue l’occasion de déterminer les obligations de réparation que le preneur doit réaliser.

Une difficulté juridique se greffe alors à cette divergence de position des parties puisque le fondement juridique des demandes du bailleur ne sont pas les mêmes selon que le bail est en cours ou a pris fin.

En tout état de cause, si les travaux de remise en fin de bail recoupent deux types de problématiques distinctes (I), la solution jurisprudentielle est unique (II).

I – Deux problématiques distinctes

Lors de la restitution des locaux, les parties doivent se mettre d’accord sur la configuration des locaux (1°) et l’état des locaux (parfait, excellent, bon, état d’usage …) (2°).

1° – Sur la configuration des locaux loués

Le preneur est amené à réaliser, lors de son installation, puis ensuite en cours de bail, le cas échéant, dives travaux afin de pouvoir adapter les locaux à son exploitation.

Lors de la restitution des locaux, il convient de déterminer, parmi les aménagements et travaux réalisés par le preneur, ceux qui devront être déposés par le preneur ou qui pourront être laissés sur place.

Ces questions sont réglées par les dispositions du bail qui précisent :

  • d’une part, dans quelle mesure et/ou dans quelles conditions les aménagements réalisés par le preneur dans les locaux sont devenus la propriété du bailleur (clause d’accession 1);
  •  et d’autre part, les différents aménagements que le preneur peut ou doit laisser dans les locaux, lors de leur restitution (clause de nivellement). A titre d’exemple, en matière de bureaux, la question récurrente est de savoir si le preneur devra déposer ses cloisonnements et câblages ou s’il peut les laisser.

Ces questions sont généralement assez bien anticipées par les parties. Si un contentieux demeure concernant la configuration des locaux loués, il s’agit, principalement, de déterminer qui a réalisé tel ou tel aménagement (comme la pose d’un escalier intérieur, la réalisation d’une mezzanine…etc). A cet égard, les dispositions d’ordre public de l’article L145-40-1 du Code de commerce  2 qui ont rendu obligatoire la mise en place d’un état des lieux lors de la prise de possession et de la restitution des locaux ont une utilité certaine.

La sanction, en cas de non réalisation d’un tel état des lieux est que le bailleur ne peut pas se prévaloir de la présomption de « bon état de réparation de réparations locatives » posée par l’article 1731 du Code civil. Néanmoins, indépendamment de la question de l’état des locaux que nous allons ensuite envisager, l’état des lieux constitue un élément de preuve de la configuration des locaux.

C’est la raison pour laquelle il peut être utile d’établir un nouvel état des lieux, en cas de renouvellement de bail et/ou lorsque de nombreux travaux d’aménagement du preneur sont intervenus, puisque cela permet de donner une date certaine à la configuration des locaux, sans attendre la fin du bail.

2°– Sur l’état des locaux loués

Les dispositions du bail font souvent référence aux notions de « bon état », « parfait état », « très bon état » afin de caractériser l’état dans lequel les locaux doivent être restitués.

Il s’agit de notions subjectives qui prêtent à débat.

En outre, il convient de tenir compte des dispositions du bail relatives à la vétusté afin de caractériser les obligations qui sont à la charge du preneur. En effet, en principe, c’est le bailleur qui supporte les réparations liées à la vétusté, en application de l’article 1755 du Code civil. Si tel est le cas, il conviendra, au regard de l’état des locaux, de distinguer parmi les réparations à réaliser, celles qui relèvent de la vétusté ou du défaut d’entretien du preneur…débats et discussions entre les parties garanti !

C’est pourquoi il arrive souvent que la désignation d’un expert soit rendue nécessaire afin de déterminer l’état des locaux restitués et les réparations dues par le preneur, le cas échéant.

Afin d’anticiper ces difficultés, il est recommandé aux parties de mettre en place des indicateurs objectifs quant à l’état de restitution des locaux (comme par exemple l’engagement du preneur de financer le remplacement la moquette moyennant un prix fixé d’avance). Une autre piste est de prévoir l’organisation d’un pré-état des lieux en amont, ainsi que le cas échéant, le recours à un tiers expert avant la restitution des locaux.

En effet, la question de l’état des locaux est d’autant plus problématique que le débat relatif à l’état des locaux se poursuit couramment après la restitution des locaux. Dès lors, indépendamment de la détermination des travaux nécessaires, se pose la question de savoir qui doit supporter le temps d’immobilisation des locaux pendant la réalisation des travaux.

II – Une solution jurisprudentielle unique

La question des travaux de remise en état est à l’intersection de deux logiques juridiques distinctes, à savoir :

  • d’une part, la logique juridique qui découle du « droit de la responsabilité » qui suppose que les travaux de remise en état ne sont dus que s’il existe une faute, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et ledit préjudice. Il s’agit du classique tryptique découlant des dispositions de l’article 1240 du Code civil (correspondant à l’ancien article 1382 du Code civil) ;
  • et, d’autre part, la logique du « droit des contrats » qui suppose que les obligations doivent être exécutées de bonne foi : dans ces conditions, la restitution des locaux ne saurait permettre à un preneur d’échapper aux obligations découlant du bail.

La confrontation de ces deux logiques existe lorsque le projet du bailleur est susceptible d’avoir une influence sur la nature et le quantum des travaux de remise en état du preneur.

Après avoir connu deux revirements, la position des juridictions est à présent établie.

Par un arrêt en date du 30 janvier 2002 (Cass. 3ème civ, n° 00-15784 ; arrêt « société Bolmont »), la Cour de cassation a opéré un premier revirement de jurisprudence. Dans cette affaire, le preneur n’avait pas exécuté les réparations locatives qui lui incombaient. A la fin du bail, le bailleur conserve le dépôt de garantie et le locataire l’assigne afin d’obtenir sa restitution.

Le bailleur sollicite alors reconventionnellement des dommages et intérêts au titre des réparations locatives non effectuées par le locataire. Entre le jugement rendu en première instance et l’arrêt rendu par la Cour d’Appel, le bailleur vend l’immeuble à un promoteur aux fins de destruction et d’édification d’un ensemble à usage d’habitation. La Cour d’appel prend acte de ces éléments et considère que le bailleur ne pouvait alléguer l’existence d’un quelconque préjudice.

Dans son arrêt du 30 janvier 2002, la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’Appel en considérant que : « L’indemnisation du bailleur, en raison de l’inexécution par le preneur des réparations locatives prévues au bail, n’est subordonnée ni à l’exécution de ces réparations ni à la justification d’un préjudice ».

Cet arrêt de la Cour de cassation a été largement critiqué par de nombreux auteurs qui ont vu dans cet arrêt la possibilité pour un bailleur de solliciter une indemnisation au titre de réparations locatives, alors même qu’en l’espèce, le bailleur a vendu un immeuble en l’état qui a été détruit, rendant ainsi les réparations locatives sans objet ou, en tout cas, inutiles. Les tenants de la logique du droit des contrats approuvaient de leur côté cette décision qui permettait de sanctionner l’inexécution du bail  3 .

On voit donc deux logiques s’affronter entre d’une part la logique « droit de la responsabilité » qui suppose qu’afin de pouvoir sanctionner un comportement fautif le triptyque habituel soit démontré, à savoir l’existence d’une faute contractuelle, l’existence d’un préjudice et ainsi que l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice. De l’autre côté, les tenants de la logique « droit des contrats » s’attachent à ce que les obligations découlant du bail soient respectées, quand bien même il n’en résulterait pas de préjudice ou en tout état de cause, sans que le co-contractant ait à démontrer l’existence d’un préjudice.

La solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt Bolmont s’explique par le fait que la Haute juridiction entendait faire respecter les dispositions du bail, dans le cadre d’une exécution forcée du contrat. Toutefois, une fois que les locaux ont été restitués et que le bail a pris fin, une autre logique juridique entre en ligne de compte : il s’agit du droit de la responsabilité et des dommages et intérêts qui ne peuvent être alloués en l’absence d’un préjudice.

C’est notamment ce que monsieur Jérôme Betoulle, conseiller référendaire à la Cour de cassation, a précisé dans son rapport qui a été rendu dans le cadre de l’arrêt du 3 décembre 2003 (Cass. 3ème civ, n° 02-18033 ; arrêt « SCI Place St Jean ») qui constitue le second revirement de jurisprudence.

Dans cet arrêt, à l’issue d’un précédent bail, le bailleur avait donné à bail les locaux à nouveau locataire (un salon de coiffure) qui avait modifié, à ses frais, l’installation et effectué des réaménagements spécifiques complets.

Dans ces conditions, la question était de savoir si le bailleur pouvait tout de même solliciter auprès de son ancien locataire le paiement des réparations locatives, alors même que le nouveau locataire avait complétement réaménagé les locaux, à ses frais, et que les réparations locatives sollicitées auprès de l’ancien preneur n’avaient pas été réalisées.

Dans son arrêt du 3 décembre 2003, la Cour de cassation a considéré que : « Des dommages et intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu’il est résulté un préjudice de la faute contractuelle ».

La Cour de cassation a ainsi opéré un nouveau revirement de jurisprudence, moins de deux ans après l’arrêt Bolmont, afin de considérer que les dommages et intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate l’existence d’un préjudice consécutif à la faute contractuelle. Indépendamment des critiques essuyées par l’arrêt Bolmont, ce revirement permettait de mettre fin aux contradictions de jurisprudence que l’arrêt Bolmont avait pu introduire avec la position des autres chambres de la Cour de cassation 4

La Cour de cassation a en fait cherché à atteindre un point d’équilibre entre la logique « droit de la responsabilité » et la logique « droit des contrats », puisque, même si les dommages et intérêts ne sont dus qu’en cas de préjudice résultant de la faute contractuelle, le bailleur peut être indemnisé sans avoir à justifier de l’exécution des travaux (Cass. 3ème civ. 25 janvier 2006 (n°04-20726).

En tout état de cause, le préjudice doit être envisagé au moment où le juge statue (Cass. 3ème civ. 11 mars 2014 (n°12-28396), ce qui signifie que la solution retenue par les juridictions sera différente selon que, au moment où le Juge statue, l’immeuble est reloué, réaménagé, vendu ou en attente de réparations locatives…

Hanan CHAOUI
Docteur en droit, spécialiste en droit immobilier
Avocat associé
DELCADE, avocats & sollicitors

1 En l’absence de clause d’accession, la jurisprudence considère que les aménagements réalisés par le preneur font « accession » et deviennent ainsi la propriété du bailleur en fin de bail (V. notamment CA Paris 7 février 2008, n°07/07733).
2 Issu de la loi du 18 juin 2014 dite loi Pinel
3 Pour être complet, il convient de préciser que cet arrêt Bolmont du 30 janvier 2002 se situe d’un autre arrêt « isolé » de la Cour de cassation du 13 novembre 1997 (Bull. civ. III n°202). Aux termes de cet arrêt, la Cour de cassation avait considéré que la demande de dommages et intérêts du bailleur fondée sur les réparations locatives sollicitées ne peut pas être rejetée au motif qu’il n’existe pas de préjudice. A l’époque, un auteur avait indiqué que la Cour de cassation « est brouillée avec la distinction entre la demande d’exécution forcée du contrat ne nécessitant la preuve d’un préjudice et la demande de dommages et intérêts qui exige cette preuve » : Pierre-Yves Gauthier, RTD civ. 1998, p. 696, cité monsieur Jérôme Betoulle, dans son Rapport « Extinction d’un bail : dégradation des locaux et indemnisation du bailleur », RJDA 2004, p. 360.
4 Cf. Monsieur Jérôme Betoulle, dans son Rapport « Extinction d’un bail : dégradation des locaux et indemnisation du bailleur », RJDA 2004, p. 360.

indemnité d’éviction en matière de baux commerciaux

Article “indemnité d’éviction en matière de baux commerciaux”
Novembre-Décembre 2017 • www.lemoniteur.fr/ope-immo

Pages LPS HC

Durée ferme des baux

« La durée du bail commercial a été récemment réformée par la loi du 18 juin 2014, dite loi Pinel.

 

 

Une réponse ministérielle du 31 mai 2016 a considéré que les règles relatives à la durée des baux instituées par la loi Pinel seraient applicables aux baux en cours.

 

Le débat entre les praticiens est ouvert afin de savoir si cette réponse ministérielle doit être prise en considération, ou si elle doit être considérée comme une réponse ministérielle « contra legem » et écartée à ce titre.

 

Ce débat a d’ailleurs été relancé par un arrêt du 9 février 2017 de la Cour de cassation qui a considéré que l’article L145-7-1 du Code de commerce ayant modifié les règles relatives à la durée des baux en matière de résidences de tourisme, était applicable aux baux en cours.

 

La question demeure ouverte, même s’il est raisonnable de penser que les règles relatives à la durée des baux instituées par la loi Pinel ne sauraient être applicables aux baux en cours, sauf à contrevenir à la volonté des parties ».

 

La négociation et la conclusion du bail commercial

La négociation et la conclusion du bail commercial

date de publication oct. 2016 description de la publication Loyers et copropriété