Résiliation d’un marché en cas de manquements graves

Dorénavant, la résolution d’un contrat peut être obtenue par simple notification en cas de manquements suffisamment graves (articles 1224 du code civil). Cette résiliation par notification doit être précédée d’une mise en demeure au débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable (article 1226). En cas de clause résolutoire, les dispositions de cette dernière doivent être respectées (article 1225).

C’est cette notion de résiliation justifiée par la gravité des manquements qu’applique la Cour de cassation dans une affaire pour laquelle ces nouvelles dispositions du code civil, issues de l’ordonnance du 10 février 2016, ne s’appliquaient pourtant pas.

En l’espèce, il s’agissait d’une convention d’une convention liant un maître d’ouvrage et les membres d’un groupement momentané d’entreprises constituant l’équipe de maître d’œuvre. La convention prévoyait qu’en cas d’inexécution de ses obligations par un membre du groupement, le maître d’ouvrage, ne pouvait demander que l’exclusion de la société du marché de maîtrise d’œuvre, à la condition de l’avoir mis en demeure au préalable de satisfaire à ses obligations dans les délais impartis.

C’est ce qu’avait retenu la cour d’appel pour condamner le maître d’ouvrage à indemniser l’entreprise défaillante.

La Cour de cassation casse l’arrêt au motif que la résiliation ainsi opérée par le maître d’ouvrage pouvait trouver sa justification dans la gravité des manquements de l’entreprise.

Il convient d’accorder une attention toute particulière aux dispositions du contrat relatif à la résiliation du contrat. En l’absence de clause résolutoire, le contrat peut être résilier unilatéralement après mise en demeure. En présence d’une clause résolutoire, cette dernière doit être appliquée rigoureusement.

Cour de cassation, civ. 3, 8férvier 2018, pourvoi n° 16-24641

Xavier HEYMANS

Avocat associé

Spécialiste en droit public

Bordeaux

Marché à forfait – Responsabilité du maître d’ouvrage en cas de modification des travaux

Dans le cadre d’un marché à forfait, l’entreprise peut être indemnisé de ses préjudices résultant de difficultés rencontrées dès lors que :

  •  Soit, elles trouvent leur origine dans des sujétions imprévues qui ont eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat,
  • Soit, elles sont imputables à une faute du maître d’ouvrage.

Cette faute peut résulter de manquements du maître d’ouvrage dans :

  • l’exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché,
  • l’estimation de ses besoins,
  • la conception même du marché,
  • la mise en œuvre du marché, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics.

C’est ce que rappelle un récent arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy du 20 mars 2018 (n° 16NC01822).

Dans cette affaire, relatif à un marché d’électricité courants forts et courant faible, des « modification substantielles ont été apportées aux cahiers des clauses techniques particulières », par le maître d’ouvrage concernant :

ü  la puissance de l’arrivée électrique pour la partie Haute Tension, la gestion des coupures de courant et les conditions de reconfiguration et de délestage,

ü  l’architecture physique du réseau informatique ainsi que du réseau téléphonique,

ü  un élément structurant de l’installation portant sur le cheminement de la boucle haute tension.

Plus d’une cinquantaine de fiches modificatives ont été notifiées à l’entreprise.

La cour a estimé que « la nature et le nombre de ces modifications suffisent à révéler une grave insuffisance » et sont constitutives d’une faute, dans l’estimation de ses besoins par le maître d’ouvrage.

En outre, la juridiction relève que les fiches modificatives ont été validées avec des retards, parfois de plusieurs semaines.

La faute du maître d’ouvrage constituant un manquement à son pouvoir de contrôle dans la mise en œuvre du marché.

C’est ainsi que la cour retient la responsabilité du maître d’ouvrage, indépendamment des fautes éventuellement commises à cet égard par l’équipe de maîtrise d’œuvre ou l’assistant à maîtrise d’ouvrage.

Le préjudice indemnisable de l’entreprise, qui avait reçu une rémunération pour les travaux supplémentaires, résulte de l‘allongement de la durée des travaux.

Cour administrative d’appel de Nancy du 20 mars 2018 (n° 16NC01822)

Xavier HEYMANS

Avocat associé

Spécialiste en droit public

Bordeaux

Le prix dans le cadre des marchés publics et privés de travaux

À première vue, le régime applicable au prix semble différent selon que l’on se place dans le cadre des marchés publics ou privés de travaux. Cependant, les deux régimes tendent à se rapprocher du fait de l’influence certaine du droit de la commande publique ou encore de la volonté de mieux protéger les cocontractants de circonstances économiques parfois difficilement prévisibles.

Les motifs de la résiliation dans les CCAG applicables aux marchés privés et publics de travaux

Les modalités de (a résiliation et ses motifs s’avèrent très différentes selon que l’on se place dans le cadre des marchés privés ou des marchés publics de travaux. Ces différences sont visibles non seulement dans les cas de résiliation non fautive du marché mais aussi dans les hypothèses de résiliation résultant d’une faute commise par l’une des deux parties au contrat.

Document d’urbanisme Le juge ne peut se prononcer sur la légalité d’un projet sans disposer de l’annexe du PLU

Des particuliers ont contesté le permis de construire délivré à une societe en soutenant que la majoration ducoefficientdessols(COS)invoquée n’était pas applicable. La bénéficiaire du permis et la commune ont soutenu au contraire que cette majoration trouvait à s’appliquer en produisant la délibération adoptant la modification simplifiée du plan local d’urbanisme (PLU), qui renvoyait a une annexe
du règlement pour la délimitation
du secteur concerne. Le tribunal administratif a annule le projet sans avoir cherché à prendre connaissance de l’annexe invoquée

Les travaux de remise en état de fin de bail

Article publié au sein de la Revue « L’Argus de l’Enseigne » n°54 d’avril 2018

Le bail commercial est amené à durer, et à perdurer, compte tenu notamment du droit au renouvellement dont le preneur bénéficie, en principe. C’est sous doute une des raisons pour lesquelles la question des travaux de remise en état en fin de bail n’est pas, dans certaines situations, assez anticipée par les parties.

En outre, lorsqu’un preneur restitue les locaux, il se projette dans un « après » dans lequel toute somme à débourser au titre des locaux restitués est considérée comme un surcoût. De son côté, le bailleur considère que la restitution des locaux constitue l’occasion de déterminer les obligations de réparation que le preneur doit réaliser.

Une difficulté juridique se greffe alors à cette divergence de position des parties puisque le fondement juridique des demandes du bailleur ne sont pas les mêmes selon que le bail est en cours ou a pris fin.

En tout état de cause, si les travaux de remise en fin de bail recoupent deux types de problématiques distinctes (I), la solution jurisprudentielle est unique (II).

I – Deux problématiques distinctes

Lors de la restitution des locaux, les parties doivent se mettre d’accord sur la configuration des locaux (1°) et l’état des locaux (parfait, excellent, bon, état d’usage …) (2°).

1° – Sur la configuration des locaux loués

Le preneur est amené à réaliser, lors de son installation, puis ensuite en cours de bail, le cas échéant, dives travaux afin de pouvoir adapter les locaux à son exploitation.

Lors de la restitution des locaux, il convient de déterminer, parmi les aménagements et travaux réalisés par le preneur, ceux qui devront être déposés par le preneur ou qui pourront être laissés sur place.

Ces questions sont réglées par les dispositions du bail qui précisent :

  • d’une part, dans quelle mesure et/ou dans quelles conditions les aménagements réalisés par le preneur dans les locaux sont devenus la propriété du bailleur (clause d’accession 1);
  •  et d’autre part, les différents aménagements que le preneur peut ou doit laisser dans les locaux, lors de leur restitution (clause de nivellement). A titre d’exemple, en matière de bureaux, la question récurrente est de savoir si le preneur devra déposer ses cloisonnements et câblages ou s’il peut les laisser.

Ces questions sont généralement assez bien anticipées par les parties. Si un contentieux demeure concernant la configuration des locaux loués, il s’agit, principalement, de déterminer qui a réalisé tel ou tel aménagement (comme la pose d’un escalier intérieur, la réalisation d’une mezzanine…etc). A cet égard, les dispositions d’ordre public de l’article L145-40-1 du Code de commerce  2 qui ont rendu obligatoire la mise en place d’un état des lieux lors de la prise de possession et de la restitution des locaux ont une utilité certaine.

La sanction, en cas de non réalisation d’un tel état des lieux est que le bailleur ne peut pas se prévaloir de la présomption de « bon état de réparation de réparations locatives » posée par l’article 1731 du Code civil. Néanmoins, indépendamment de la question de l’état des locaux que nous allons ensuite envisager, l’état des lieux constitue un élément de preuve de la configuration des locaux.

C’est la raison pour laquelle il peut être utile d’établir un nouvel état des lieux, en cas de renouvellement de bail et/ou lorsque de nombreux travaux d’aménagement du preneur sont intervenus, puisque cela permet de donner une date certaine à la configuration des locaux, sans attendre la fin du bail.

2°– Sur l’état des locaux loués

Les dispositions du bail font souvent référence aux notions de « bon état », « parfait état », « très bon état » afin de caractériser l’état dans lequel les locaux doivent être restitués.

Il s’agit de notions subjectives qui prêtent à débat.

En outre, il convient de tenir compte des dispositions du bail relatives à la vétusté afin de caractériser les obligations qui sont à la charge du preneur. En effet, en principe, c’est le bailleur qui supporte les réparations liées à la vétusté, en application de l’article 1755 du Code civil. Si tel est le cas, il conviendra, au regard de l’état des locaux, de distinguer parmi les réparations à réaliser, celles qui relèvent de la vétusté ou du défaut d’entretien du preneur…débats et discussions entre les parties garanti !

C’est pourquoi il arrive souvent que la désignation d’un expert soit rendue nécessaire afin de déterminer l’état des locaux restitués et les réparations dues par le preneur, le cas échéant.

Afin d’anticiper ces difficultés, il est recommandé aux parties de mettre en place des indicateurs objectifs quant à l’état de restitution des locaux (comme par exemple l’engagement du preneur de financer le remplacement la moquette moyennant un prix fixé d’avance). Une autre piste est de prévoir l’organisation d’un pré-état des lieux en amont, ainsi que le cas échéant, le recours à un tiers expert avant la restitution des locaux.

En effet, la question de l’état des locaux est d’autant plus problématique que le débat relatif à l’état des locaux se poursuit couramment après la restitution des locaux. Dès lors, indépendamment de la détermination des travaux nécessaires, se pose la question de savoir qui doit supporter le temps d’immobilisation des locaux pendant la réalisation des travaux.

II – Une solution jurisprudentielle unique

La question des travaux de remise en état est à l’intersection de deux logiques juridiques distinctes, à savoir :

  • d’une part, la logique juridique qui découle du « droit de la responsabilité » qui suppose que les travaux de remise en état ne sont dus que s’il existe une faute, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et ledit préjudice. Il s’agit du classique tryptique découlant des dispositions de l’article 1240 du Code civil (correspondant à l’ancien article 1382 du Code civil) ;
  • et, d’autre part, la logique du « droit des contrats » qui suppose que les obligations doivent être exécutées de bonne foi : dans ces conditions, la restitution des locaux ne saurait permettre à un preneur d’échapper aux obligations découlant du bail.

La confrontation de ces deux logiques existe lorsque le projet du bailleur est susceptible d’avoir une influence sur la nature et le quantum des travaux de remise en état du preneur.

Après avoir connu deux revirements, la position des juridictions est à présent établie.

Par un arrêt en date du 30 janvier 2002 (Cass. 3ème civ, n° 00-15784 ; arrêt « société Bolmont »), la Cour de cassation a opéré un premier revirement de jurisprudence. Dans cette affaire, le preneur n’avait pas exécuté les réparations locatives qui lui incombaient. A la fin du bail, le bailleur conserve le dépôt de garantie et le locataire l’assigne afin d’obtenir sa restitution.

Le bailleur sollicite alors reconventionnellement des dommages et intérêts au titre des réparations locatives non effectuées par le locataire. Entre le jugement rendu en première instance et l’arrêt rendu par la Cour d’Appel, le bailleur vend l’immeuble à un promoteur aux fins de destruction et d’édification d’un ensemble à usage d’habitation. La Cour d’appel prend acte de ces éléments et considère que le bailleur ne pouvait alléguer l’existence d’un quelconque préjudice.

Dans son arrêt du 30 janvier 2002, la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’Appel en considérant que : « L’indemnisation du bailleur, en raison de l’inexécution par le preneur des réparations locatives prévues au bail, n’est subordonnée ni à l’exécution de ces réparations ni à la justification d’un préjudice ».

Cet arrêt de la Cour de cassation a été largement critiqué par de nombreux auteurs qui ont vu dans cet arrêt la possibilité pour un bailleur de solliciter une indemnisation au titre de réparations locatives, alors même qu’en l’espèce, le bailleur a vendu un immeuble en l’état qui a été détruit, rendant ainsi les réparations locatives sans objet ou, en tout cas, inutiles. Les tenants de la logique du droit des contrats approuvaient de leur côté cette décision qui permettait de sanctionner l’inexécution du bail  3 .

On voit donc deux logiques s’affronter entre d’une part la logique « droit de la responsabilité » qui suppose qu’afin de pouvoir sanctionner un comportement fautif le triptyque habituel soit démontré, à savoir l’existence d’une faute contractuelle, l’existence d’un préjudice et ainsi que l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice. De l’autre côté, les tenants de la logique « droit des contrats » s’attachent à ce que les obligations découlant du bail soient respectées, quand bien même il n’en résulterait pas de préjudice ou en tout état de cause, sans que le co-contractant ait à démontrer l’existence d’un préjudice.

La solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt Bolmont s’explique par le fait que la Haute juridiction entendait faire respecter les dispositions du bail, dans le cadre d’une exécution forcée du contrat. Toutefois, une fois que les locaux ont été restitués et que le bail a pris fin, une autre logique juridique entre en ligne de compte : il s’agit du droit de la responsabilité et des dommages et intérêts qui ne peuvent être alloués en l’absence d’un préjudice.

C’est notamment ce que monsieur Jérôme Betoulle, conseiller référendaire à la Cour de cassation, a précisé dans son rapport qui a été rendu dans le cadre de l’arrêt du 3 décembre 2003 (Cass. 3ème civ, n° 02-18033 ; arrêt « SCI Place St Jean ») qui constitue le second revirement de jurisprudence.

Dans cet arrêt, à l’issue d’un précédent bail, le bailleur avait donné à bail les locaux à nouveau locataire (un salon de coiffure) qui avait modifié, à ses frais, l’installation et effectué des réaménagements spécifiques complets.

Dans ces conditions, la question était de savoir si le bailleur pouvait tout de même solliciter auprès de son ancien locataire le paiement des réparations locatives, alors même que le nouveau locataire avait complétement réaménagé les locaux, à ses frais, et que les réparations locatives sollicitées auprès de l’ancien preneur n’avaient pas été réalisées.

Dans son arrêt du 3 décembre 2003, la Cour de cassation a considéré que : « Des dommages et intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu’il est résulté un préjudice de la faute contractuelle ».

La Cour de cassation a ainsi opéré un nouveau revirement de jurisprudence, moins de deux ans après l’arrêt Bolmont, afin de considérer que les dommages et intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate l’existence d’un préjudice consécutif à la faute contractuelle. Indépendamment des critiques essuyées par l’arrêt Bolmont, ce revirement permettait de mettre fin aux contradictions de jurisprudence que l’arrêt Bolmont avait pu introduire avec la position des autres chambres de la Cour de cassation 4

La Cour de cassation a en fait cherché à atteindre un point d’équilibre entre la logique « droit de la responsabilité » et la logique « droit des contrats », puisque, même si les dommages et intérêts ne sont dus qu’en cas de préjudice résultant de la faute contractuelle, le bailleur peut être indemnisé sans avoir à justifier de l’exécution des travaux (Cass. 3ème civ. 25 janvier 2006 (n°04-20726).

En tout état de cause, le préjudice doit être envisagé au moment où le juge statue (Cass. 3ème civ. 11 mars 2014 (n°12-28396), ce qui signifie que la solution retenue par les juridictions sera différente selon que, au moment où le Juge statue, l’immeuble est reloué, réaménagé, vendu ou en attente de réparations locatives…

Hanan CHAOUI
Docteur en droit, spécialiste en droit immobilier
Avocat associé
DELCADE, avocats & sollicitors

1 En l’absence de clause d’accession, la jurisprudence considère que les aménagements réalisés par le preneur font « accession » et deviennent ainsi la propriété du bailleur en fin de bail (V. notamment CA Paris 7 février 2008, n°07/07733).
2 Issu de la loi du 18 juin 2014 dite loi Pinel
3 Pour être complet, il convient de préciser que cet arrêt Bolmont du 30 janvier 2002 se situe d’un autre arrêt « isolé » de la Cour de cassation du 13 novembre 1997 (Bull. civ. III n°202). Aux termes de cet arrêt, la Cour de cassation avait considéré que la demande de dommages et intérêts du bailleur fondée sur les réparations locatives sollicitées ne peut pas être rejetée au motif qu’il n’existe pas de préjudice. A l’époque, un auteur avait indiqué que la Cour de cassation « est brouillée avec la distinction entre la demande d’exécution forcée du contrat ne nécessitant la preuve d’un préjudice et la demande de dommages et intérêts qui exige cette preuve » : Pierre-Yves Gauthier, RTD civ. 1998, p. 696, cité monsieur Jérôme Betoulle, dans son Rapport « Extinction d’un bail : dégradation des locaux et indemnisation du bailleur », RJDA 2004, p. 360.
4 Cf. Monsieur Jérôme Betoulle, dans son Rapport « Extinction d’un bail : dégradation des locaux et indemnisation du bailleur », RJDA 2004, p. 360.