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JCP A
Spectaculaire assouplissement du contentieux de la TEOM en 2021, 7 ans après la jurisprudence Auchan
14/02/2022

Résumé : Au bout de sept ans d’une application particulièrement rigoureuse de la jurisprudence Auchan, aux termes de laquelle le Conseil d’Etat avait jugé que la TEOM n’avait pas pour objet de financer l’élimination des déchets non ménagers, alors même que la redevance spéciale, obligatoire en 2014, n’aurait pas été instituée, le Conseil d’Etat a radicalement changé sa position. Malgré la pression du législateur qui avait rendu facultative la redevance spéciale, à compter du 1er janvier 2016, malgré l’explosion des contentieux TEOM entre les entreprises et les collectivités territoriales ou établissements publics de coopération intercommunale compétents, il faudra attendre la fin de l’année 2021 pour que le Conseil d’Etat admette in fine le financement des déchets non ménagers concurremment par la redevance spéciale et, en tant que de besoin, par la TEOM.

Solution.- La collecte et le traitement des déchets non ménagers peuvent être financés concurremment par la RS et la TEOM. La TEOM n’est donc plus exclusivement réservée à la collecte et au traitement des déchets ménagers mais peut financer une partie de la collecte et du traitement des déchets non ménagers. Par suite, pour apprécier le caractère non manifestement disproportionné du taux de la TEOM, il y a lieu de prendre en compte le produit de la RS dans les recettes non fiscales à déduire du montant des dépenses exposées pour la collecte et le traitement des déchets ménagers et des déchets non ménagers.

Impact.- Par cet arrêt, le Conseil d’Etat fait une application bienvenue de l’article 57 de la loi de finances rectificative pour 2015, conformément à l’esprit du législateur qui était de permettre le financement des dépenses exposées pour la collecte et le traitement des déchets non ménagers au moyen, concurremment, du produit de la redevance spéciale et, en tant que de besoin, du produit de la TEOM.

CE, 29 nov. 2021, n° 454684 : Lebon T.

[…]

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que la société Établissements Darty et Fils a demandé au tribunal administratif d’Orléans de prononcer la décharge des cotisations de taxe d’enlèvement des ordures ménagères à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2017 et 2018 dans les rôles de la commune de Tours (Indre-et-Loire), à raison de locaux dont elle est propriétaire au 31 rue Gustave Eiffel, ainsi que la restitution des sommes en cause. Elle se pourvoit en cassation contre le jugement du 17 mai 2021 par lequel le tribunal administratif d’Orléans a rejeté ces demandes.

2. Aux termes du I de l’article 1520 du Code général des impôts, dans sa rédaction issue du V de l’article 57 de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, applicable à compter du 1er janvier 2016 : ” Les communes qui assurent au moins la collecte des déchets des ménages peuvent instituer une taxe destinée à pourvoir aux dépenses du service de collecte et de traitement des déchets ménagers et des déchets mentionnés à l’article L. 2224-14 du Code général des collectivités territoriales, dans la mesure où celles-ci ne sont pas couvertes par des recettes ordinaires n’ayant pas le caractère fiscal “. Les déchets mentionnés à l’article L. 2224-14 du Code général des collectivités territoriales s’entendent des déchets non ménagers que ces collectivités peuvent, eu égard à leurs caractéristiques et aux quantités produites, collecter et traiter sans sujétions techniques particulières. Aux termes de l’article L. 2333-78 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 19 décembre 2015 précitée : ” Les communes, les établissements publics de coopération intercommunale et les syndicats mixtes peuvent instituer une redevance spéciale afin de financer la collecte et le traitement des déchets mentionnés à l’article L. 2224-14. / Ils sont tenus de l’instituer lorsqu’ils n’ont institué ni la redevance prévue à l’article L. 2333-76 du présent code ni la taxe d’enlèvement des ordures ménagères prévue à l’article 1520 du Code général des impôts. / Ils ne peuvent l’instituer s’ils ont institué la redevance prévue à l’article L. 2333-76 (…) / Elle est calculée en fonction de l’importance du service rendu, notamment de la quantité des déchets gérés. Elle peut toutefois être fixée de manière forfaitaire pour la gestion de petites quantités de déchets “. Aux termes du 2 bis du III de l’article 1521 du Code général des impôts, issu de la loi du 29 décembre 2015 : ” Les conseils municipaux peuvent exonérer de la taxe les locaux dont disposent les personnes assujetties à la redevance spéciale prévue à l’article L. 2333-78 du Code général des collectivités territoriales (…) “.

3. La taxe d’enlèvement des ordures ménagères n’a pas le caractère d’un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l’ensemble des dépenses budgétaires, mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune ou l’établissement de coopération intercommunale compétent pour assurer l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères et des déchets mentionnés à l’article L. 2224-14 du Code général des collectivités territoriales cité au point 2 et non couvertes par des recettes non fiscales affectées à ces opérations. Il s’ensuit que le produit de cette taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant des dépenses exposées pour la collecte et le traitement des déchets ménagers comme des déchets non ménagers, déduction faite, le cas échéant, du montant des recettes non fiscales de la section de fonctionnement, telles qu’elles sont définies par les articles L. 2331-2 et L. 2331-4 du même code, relatives à ces opérations.

4. Il résulte, en particulier, des dispositions rappelées au point 2 que le législateur a entendu permettre aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale compétents, à compter du 1er janvier 2016, de couvrir les dépenses exposées pour la collecte et le traitement des déchets non ménagers mentionnés à l’article L. 2224-14 du Code général des collectivités territoriales au moyen, concurremment, du produit de la redevance spéciale de l’article L. 2333-78 du même code et, en tant que de besoin, du produit de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères.

5. Par suite, en jugeant que l’institution de la redevance spéciale prévue à l’article L. 2333-78 du Code général des collectivités territoriales n’impliquait pas nécessairement que son produit finance la totalité des dépenses de collecte et de traitement des déchets non ménagers, la taxe d’enlèvement des ordures ménagères pouvant également pourvoir au financement de ces dépenses pour leur part non couverte par cette redevance ou d’autres recettes non fiscales, le tribunal administratif n’a, contrairement à ce qui est soutenu, pas entaché son jugement d’erreur de droit.

6. Il n’a pas davantage commis d’erreur de droit en incluant le produit attendu de la redevance spéciale dans les recettes non fiscales devant être déduites du montant des dépenses exposées pour la collecte et le traitement des déchets ménagers comme des déchets non ménagers pour apprécier le caractère non manifestement disproportionné du taux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères fixé pour l’année 2016.

7. Le pourvoi de la société établissement Darty et fils ne peut, par suite, qu’être rejeté, y compris ses conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.

[…]

NOTE

L’automne 2021 aura été particulièrement riche d’enseignement en matière de taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM). Après plusieurs années aux termes desquelles les collectivités territoriales ont été confrontées à une appréciation particulièrement excessive et sévère de la jurisprudence Auchan (CE, 31 mars 2014, n° 368111, Auchan ; Lebon T. 2014, p. 623 ; JCP A 2014, act. 327) et des arrêts postérieurs, et malgré l’intervention du législateur, dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2015, restée sans effet réel sur les contentieux, force est de constater une volonté récente des juridictions administratives de rééquilibrer les règles applicables.

Par un arrêt du 29 novembre 2021 (CE, 29 nov. 2021, n° 454684 : Lebon T. 2014, p. 623 ; JCP A 2014, act. 327), le Conseil d’État précise le lien entre la TEOM et la redevance spéciale (RS), au regard des règles applicables au 1er janvier 2016. La Haute Juridiction admet que la collecte et le traitement des déchets non ménagers puissent être financés concurremment par la RS et la TEOM. La TEOM n’est donc plus exclusivement réservée à la collecte et au traitement des déchets ménagers mais peut financer une partie de la collecte et du traitement des déchets non ménagers. Par suite, pour apprécier le caractère non manifestement disproportionné du taux de la TEOM, il y a lieu de prendre en compte le produit de la RS dans les recettes non fiscales à déduire du montant des dépenses exposées pour la collecte et le traitement des déchets ménagers et des déchets non ménagers.

En l’espèce, la commune de Tours a institué la RS et la TEOM sur son territoire pour la collecte et le traitement des déchets non ménagers et ménagers. À l’instar de nombreuses collectivités, la commune de Tours a pris la décision de ne pas exonérer de TEOM les entreprises assujetties à la RS (possibilité offerte à l’article 1521 III, 2, bis du CGI). La SAS Établissements Darty et Fils a saisi le tribunal administratif d’Orléans d’une demande tendant à la décharge des cotisations de TEOM, au titre des années 2017 et 2018 et à la restitution desdites sommes.

Par un jugement en date du 17 mai 2021, le tribunal a rejeté sa demande après avoir relevé que la TEOM pouvait financer une partie des dépenses de collecte et de traitement des déchets non ménagers, non financés par la RS.

La SAS Établissements Darty et Fils a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Par un arrêt du 29 novembre 2021, le Conseil d’État a rejeté le pourvoi en cassation et jugé que « le législateur a entendu permettre aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale compétents, à compter du 1er janvier 2016, de couvrir les dépenses exposées pour la collecte et le traitement des déchets non ménagers mentionnés à l’articleL. 2224-14 du Code général des collectivités territoriales au moyen, concurremment, du produit de la redevance spéciale de l’articleL. 2333-78 du même code et, en tant que de besoin, du produit de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. […] Par suite, en jugeant que l’institution de la redevance spéciale prévue à l’articleL. 2333-78 du Code général des collectivités territoriales n’impliquait pas nécessairement que son produit finance la totalité des dépenses de collecte et de traitement des déchets non ménagers, la taxe d’enlèvement des ordures ménagères pouvant également pourvoir au financement de ces dépenses pour leur part non couverte par cette redevance ou d’autres recettes non fiscales, le tribunal administratif n’a, contrairement à ce qui est soutenu, pas entaché son jugement d’erreur de droit ».

Le Conseil d’État a donc confirmé le jugement du tribunal administratif d’Orléans et aucune somme n’a été restituée à la requérante.

Cet arrêt attire l’attention à plusieurs titres.

1 – Le Conseil d’État rappelle sa jurisprudence traditionnelle, à savoir que la TEOM « n’a pas le caractère d’un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l’ensemble des dépenses budgétaires ».

Il rappelle ensuite que le champ de la TEOM a été modifié par la loi de finances du 29 décembre 2015 portant loi de finances rectificatives pour 2015. En effet, alors qu’antérieurement à la loi de finances du 29 décembre 2015, la TEOM n’avait pour objet de couvrir que les seules dépenses relatives à la collecte et au traitement des ordures ménagères, le législateur a voulu marquer un coup d’arrêt à la jurisprudence Auchan. Il a ainsi élargi le champ de la TEOM aux dépenses relatives à l’enlèvement et au traitement des déchets non ménagers, non couverts par des recettes non fiscales.

2 – À première vue, il pourrait être avancé que cet arrêt ne fait que tirer les conséquences du changement de réglementation, applicable depuis le 1er janvier 2016.

Mais en réalité, et c’est là l’apport principal de cet arrêt, le Conseil d’État établit un lien entre RS et TEOM.

Pour rappel, la RS a pour objet de financer la collecte et le traitement des déchets non ménagers assimilés aux ordures ménagères (CGCT, art.L. 2333-78). Cela vise les déchets collectés par le service public de gestion des déchets dont le producteur n’est pas un ménage (CGCT, art.R. 2224-23). L’article L. 2333-78 prévoit que :

– la mise en place de la RS est obligatoire pour les collectivités qui assurent la collecte et le traitement de déchets non ménagers et qui n’ont mis en place ni la TEOM, ni la Redevance d’enlèvement des ordures ménagères (REOM) ;

– la RS est facultative si les collectivités ont mis en place la TEOM ;

– la RS ne peut être instituée si la collectivité a mis en place la REOM.

Alors que le Conseil d’État a affirmé à plusieurs reprises que la TEOM n’avait pas pour objet de financer l’élimination des déchets non ménagers, alors même que la RS n’aurait pas été instituée (CE, 31 mars 2014, n° 368111 et 368122 ; Lebon T. p. 623 ; JCP A 2014, act. 327. – CE, 25 juin 2018, n° 414056, SA Auchan France), il déduit de la réforme applicable au 1er janvier 2016 que les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) peuvent « couvrir les dépenses exposées pour la collecte et le traitement des déchets non ménagers au moyen, concurremment, du produit de la redevance spéciale de l’articleL. 2333-78 du même code et, en tant que de besoin, du produit de la TEOM ».

Il s’ensuit que le produit de la RS n’a pas à financer la totalité des dépenses de collecte et de traitement des déchets non ménagers. Ces dépenses peuvent être couvertes par la TEOM pour leur part non couverte par cette redevance ou d’autres recettes non fiscales.

Dès lors, pour apprécier le caractère non manifestement disproportionné du taux de TEOM, le produit attendu de la redevance spéciale doit être inclus dans les recettes non fiscales devant être déduites du montant des dépenses exposées pour la collecte et le traitement des déchets ménagers comme des déchets non ménagers.

3- Il est indéniable que cet arrêt s’inscrit dans le prolongement d’une évolution jurisprudentielle, voire d’une révolution, initiée en quelques semaines seulement, tendant à adoucir la sévérité des règles mises en place avec la jurisprudence Auchan (CE, 31 mars 2014, n° 368111, Auchan).

D’une part, dans un arrêt du 22 octobre 2021 (CE, 22 oct. 2021, n° 434900, Métropole de Lyon c/ Assoc. des contribuables actifs du lyonnais : Lebon), le Conseil d’État a élargi la notion de dépenses de fonctionnement susceptibles d’être prises en compte dans la TEOM. Il admet ainsi, pour la première fois, que certaines dépenses correspondant à une quote-part du coût des directions ou services transversaux centraux de la collectivité puissent être prises en compte sous réserve que la collectivité soit en mesure de fournir une comptabilité analytique permettant d’identifier les dépenses directement exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets.

Même si l’introduction d’une nouvelle catégorie de dépenses admises dans le champ de la TEOM est très encadrée et dont la mise en œuvre pourra, en pratique, s’avérer difficile, l’ouverture du champ des dépenses est toutefois une révolution et une bonne nouvelle pour les collectivités.

D’autre part, force est de constater que la multiplicité des contentieux de TEOM constitue une opportunité pour le juge administratif de faire évoluer le contentieux administratif.

Ainsi, dans quatre arrêts du 4 octobre 2021, rendus à propos de la TEOM, le Conseil d’État précise le contentieux de l’exception d’illégalité et l’articulation entre la légalité de l’acte réglementaire et la légalité de l’acte individuel pris en application de cet acte réglementaire. Ainsi, dans l’hypothèse où l’illégalité d’un acte réglementaire a cessé, du fait d’un changement de circonstances, à la date à laquelle le juge doit se placer pour apprécier la légalité d’un acte pris pour son application ou dont il constitue la base légale, il incombe au juge, saisi d’une exception d’illégalité de cet acte réglementaire soulevée à l’appui de la contestation de ce second acte, de l’écarter.

Dans un avis en date du 15 novembre 2021 (CE, 15 nov. 2021, n° 454125), le Conseil d’État, saisi sur le fondement des dispositions de l’article L. 113-1 du CJA, précise les règles applicables en matière de prescription quadriennale des actions en reconnaissance de droits, visées à l’article L. 77-12-1 du CJA. Il précise ainsi que les délais de prescription et de forclusion opposables, pour faire valoir les droits dont la reconnaissance est demandée, à chacun des membres du groupe indéterminé de personnes au bénéfice duquel l’action est introduite, sont interrompus à compter de la date à laquelle la réclamation préalable est formée par l’auteur de l’action collective. La date à laquelle la réclamation préalable est formée s’entend de la date à laquelle le demandeur l’a adressée à l’administration, peu importe que cette administration soit ou non compétente.

En conclusion : en quelques semaines, le Conseil d’État a atténué la sévérité de la jurisprudence Auchan. S’il est indéniable que la jurisprudence aura à préciser la mise en œuvre de ces règles, il est permis de penser que ces récents arrêts ont d’ores et déjà permis de lever certaines inquiétudes des services financiers et des services en matière de déchets des collectivités. Reste à espérer que cette appréciation favorable à une gestion pratique des déchets soit confirmée par la jurisprudence ultérieure.

Anne-Margaux Halpern
Avocate
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