Retour au blog
Covid 19
L’exécution des contrats publics face au Covid-19
19/03/2020

Chers clients,

La crise actuelle engendrée par la diffusion du COVID 19 impacte chacun d’entre nous dans nos activités professionnelles. L’heure est à l’organisation de la continuité de nos entreprises en s’adaptant du mieux possible aux mesures de confinement.

L’exécution des contrats de la commande publique , qu’il s’agisse de l’Etat, d’une collectivité territoriale ou d’un établissement public, pourra parfois s’avérer impossible ou dégradée. Sur les conséquences d’une telle situation, il s’agira bien évidemment de porter une attention particulière à la réglementation ad hoc qui devrait être mise en œuvre par l’Etat : est notamment discutée actuellement une loi d’urgence qu’il conviendra d’examiner avec attention.

Ceci étant, à ce jour, il est utile d’examiner si les présents évènements pourraient constituer un cas de force majeure justifiant la suspension des obligations contractuelles. Si tel était le cas, la présente note a également pour objectif de vous faire part de quelques recommandations et éventuelles précautions à prendre.

 1/        La caractérisation d’un cas de force majeure

 1/ En droit, l’article 1218 du code civil dispose qu’ « il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Le juge administratif retient cette définition. Trois conditions sont ainsi nécessaires pour caractériser un tel évènement  : l’imprévisibilité, l’irrésistibilité et l’extériorité. Cette définition législative codifie l’interprétation constante effectuée par le Conseil d’Etat (CE, 29 janvier 1909, n°17614).

Même si la jurisprudence se montre généralement plutôt réticente à caractériser un cas de force majeure dans le cadre d’épidémies (voir, pour illustration, le refus pour l’épidémie de dengue, CA Nancy, 22 novembre 2010, n°09/00003), Monsieur Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie et des finances, a annoncé que l’Etat considérerait, pour ses marchés, le COVID 19 comme tel.

Il est certain que l’épidémie actuelle est inédite par son ampleur et son étendue géographique, de sorte que la rigueur de la jurisprudence pourrait ne pas être un obstacle pour caractériser un cas de force majeure en l’espèce. 

2/ Comme le relève d’ailleurs la DAJ dans une fiche publiée le 18 mars 2020[i], sous réserve des stipulations contractuelles propres à chaque contrat aménageant les cas de force majeure, il semblerait à propos de ces trois conditions cumulatives que :

– L’événement serait bien imprévisible. Cette condition serait donc remplie en l’espèce.

– Cet événement serait aussi extérieur aux parties.  Cette condition serait donc également remplie

– En définitive, il s’agira d’apprécier si le prestataire ou l’acheteur public se trouve dans l’impossibilité absolue de poursuivre, momentanément ou définitivement, l’exécution de tout ou partie du marché public ou de la concession (délais, quantités, etc.).

Il conviendra donc, au cas par cas, de « vérifier effectivement si la situation résultant de la crise sanitaire actuelle, notamment le confinement, ne permet effectivement plus au prestataire de remplir ses obligations contractuelles » comme l’indique la fiche de la DAJ.

Les arguments suivants pourront être avancés pour caractériser la force majeure :

  •   En cas de nécessaire coactivité, impossibilité, en raison de la technicité des prestations à réaliser, de respecter les gestes « barrières » et les précautions édictées par le gouvernement,
  • L’exercice du droit de retrait par les salariés en application de l’article L.4531-1 du Code du travail du fait de la coactivité,
  • L’interruption des prestations par les fournisseurs, partenaires qui rend impossible l’exécution des prestations objet du marché,
  • […]

 Nos recommandations : ne pas oublier que sauf accord des parties il appartiendra aux juridictions judicaires et administratives saisies de la question d’apprécier souverainement si les trois critères susvisés sont remplis dans les cas qui leur seront soumis. D’où l’importance de se constituer des preuves des éléments concrets caractérisant la force majeure (courriers, attestations…).

En toute hypothèse, sans forcer le trait et sans faire preuve de mauvaise foi, après une analyse concrète de chaque situation, il conviendra pour les cocontractants de ne pas hésiter à se prévaloir d’un cas de force majeure afin de suspendre l’exécution de leurs obligations contractuelles, s’ils ne peuvent plus les assumer, pour échapper aux sanctions coercitives prévues par les stipulations du contrat.

2/        Les conséquences de la force majeure sur l’exécution des contrats en cours

1/ A supposer qu’un cas de force majeure soit établi, les titulaires devront appliquer strictement le formalisme prévu par le marché ou la concession. Le respect du formalisme prévu par le contrat permettra notamment au titulaire de ne pas se voir appliquer de pénalités (notamment de retard).

Le respect du formalisme prévu est primordial, sous peine de ne pas pouvoir se prévaloir ultérieurement du cas de force majeure (pour un exemple en ce sens, CAA Lyon, 28 novembre 1991, n°89LY00454), et de ne pouvoir dégager sa responsabilité du fait de l’inexécution des prestations. 

2/ S’agissant des marchés publics, sous réserve des éventuelles dispositions propres à chaque Cahier des clauses particulières, il conviendra, en premier lieu, de se référer au CCAG applicable :

  • Aux termes de l’article 18.3 du CCAG Travaux, en cas de force majeure, le titulaire doit signaler immédiatement les faits par écrit au pouvoir adjudicateur. Il est donc fondamental de notifier au plus vite au pouvoir adjudicateur les difficultés rencontrées en raison de la présente crise sanitaire.

 A cette occasion, le titulaire pourra demander une prolongation du délai de réalisation de ses prestations en application de l’article 19.2.2 du CCAG Travaux (dont l’importance sera proposée par le maître d’œuvre au pouvoir adjudicateur).

Il pourra également tenter de solliciter auprès du maître d’ouvrage une décision d’ajournement des travaux sur le fondement de l’article 49.1.1 du CCAG Travaux. L’intérêt pour l’entreprise est d’obtenir l’indemnisation des frais de garde du chantier et du préjudice subi du fait de l’ajournement, alors que l’indemnisation du préjudice imputable à la force majeure est plus limitée (cf. infra).

On constate d’ailleurs que certains maîtres d’ouvrage délivrent des décisions d’ajournement. Dans cette hypothèse, le titulaire prendra soin de formuler des réserves afin notamment de : 

  • Solliciter un constat contradictoire dressé dans les formes requises par l’article 12 du CCAG Travaux,
  • Solliciter une indemnité d’attente qui doit être fixée suivant les modalités prévues aux articles 14.3 et 14.4. 
  • Aux termes de l’article 13.3.1 du CCAG FCS, en cas de force majeure engendrant l’impossibilité de respecter les délais d’exécution, le pouvoir adjudicateur doit le prolonger. 

Toutefois, pour bénéficier d’une telle prolongation, le titulaire doit signaler au pouvoir adjudicateur les causes faisant obstacle à l’exécution du marché dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle ces causes sont apparues ou dans un délai courant jusqu’à la fin du marché, dans le cas où le marché arrive à échéance dans un délai inférieur à quinze jours (article 13.3.2.). 

Le pouvoir adjudicateur dispose alors d’un délai de quinze jours, à compter de la date de réception de la demande du titulaire pour lui notifier sa décision. 

  • Le régime est identique pour les marchés publics régis par le CCAG PI (voir article 13.3.). 

Il s’agit d’être particulièrement prudent dans la mise en œuvre de ces  stipulations.  Il est possible que, pour l’ensemble du territoire, se prévaloir d’un cas de force majeure a pu naître suite aux mesures de confinement strictes imposées par le Gouvernement à compter du 17 mars 2020 et annoncées la veille. Quelques remarques s’imposent cependant : 

–      D’une part, la date du 17 mars 2020 pourrait éventuellement marquer le point de départ d’une situation de force majeure. Néanmoins, certaines régions de France ont été frappées plus tôt par cette épidémie et certaines mesures destinées à prévenir la pandémie ont été annoncées antérieurement ;

–      D’autre part, surtout, il ne s’agit pas pour le cocontractant d’informer sans raison son partenaire d’une situation de force majeure. La date à partir de laquelle il convient de se prévaloir de la force majeure court à compter de la date à laquelle celle-ci est apparue  : il s’agit donc d’apprécier au cas par cas chaque situation et de ne pas anticiper ou tarder à se prévaloir d’une situation de Force majeure s’il y a lieu. La prudence devra être de mise et il ne faudra peut-être pas en pratique hésiter à adresser plusieurs correspondances à son cocontractant notamment si la situation évolue. 

3/ S’agissant des contrats de concession ou contrats de partenariats, à défaut de CCAG existant, il convient de se référer au contenu de chaque convention ; une procédure particulière est d’ailleurs généralement prévue par les stipulations du contrat et il s’agit évidemment de la respecter à la lettre.

Par exemple, certains contrats de concession d’autoroute se bornent à préciser que la force majeure doit être « dûment constatée ». Le concessionnaire (ou réciproquement l’autorité concédante) est par ailleurs très souvent invité à se prévaloir de la survenance de la force majeure par un courrier adressé à l’autre dans un délai assez bref (de l’ordre de 8 à 15 jours) à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de la survenance d’un tel évènement. En pratique, les conventions prévoient généralement que cette correspondance comporte a minima :

  • l’identification de la Force majeure ;
  • l’impact de la Force majeure sur l’exécution du Contrat ;
  • les mesures éventuellement envisageables pour limiter les conséquences de la cette Force majeure.

Sauf formalisme particulier à respecter, il est recommandé d’adresser ce courrier sous forme de lettre recommandée avec accusé de réception. La signification par huissier ne paraît pas strictement nécessaire.

L’envoi de pli recommandé électronique est permis aujourd’hui. 

4/Il est important enfin d’insister sur le fait qu’un cas de force majeure peut également conduire le pouvoir adjudicateur à résilier le marché public, lorsque le titulaire est mis dans l’impossibilité d’exécuter le marché ou la concessions (cf. notamment les articles 31.1 du CCAG FCS et du CCAG PI)[ii].

Dans cette hypothèse, le pouvoir adjudicateur devra notifier au titulaire sa décision et la date d’effet de celle-ci. Une telle résiliation ouvre droit à une indemnité pour le titulaire selon les stipulations particulières du marché ou, à défaut, de celles figurant dans le CCAG applicable.

Dans le contexte actuel, un dialogue entre le pouvoir adjudicateur et le titulaire semble particulièrement important pour évaluer la possibilité ou non d’exécuter la convention et de réfléchir, dans une démarche partenariale, aux meilleures solutions à prendre. 

3/        Les éventuelles conséquences indemnitaires 

1/ Le Gouvernement a annoncé plusieurs mesures pour permettre aux entreprises de faire face aux difficultés financières auxquelles elles risquent d’être confrontées dans les prochaines semaines.

Outre ces mesures, les différents leviers contractuels pour obtenir une indemnisation de la part du pouvoir adjudicateur devront être étudiés au cas par cas. Il s’agira là encore d’examiner le contenu de chaque contrat afin de vérifier notamment si une indemnisation et prévue ou non. 

Les entreprises affectées par l’épidémie devraient également être autorisées à recevoir des subventions publiques allant jusqu’à 500.000 euros ou des garanties d’Etat sur des prêts bancaires dans le cadre nouvelles règles provisoires de l’Union européenne. 

Dans le cadre de ces mesures temporaires, qui entreront en vigueur dans les prochains jours, les Etats seront également autorisés à faciliter l’accès à des prêts publics et privés à des taux d’intérêt bonifiés, c’est-à-dire à un niveau inférieur à ceux pratiqués sur les marchés. 

La commissaire européenne à la Concurrence vient d’annoncer que  ces mesures d’assouplissement de la réglementation européenne des aides d’Etat permettra aux entreprises de disposer de liquidités pour continuer à fonctionner et d’assurer une certaine cohérence au sein du marché européen. 

2/ Ceci ayant été précisé, A ce stade, en premier lieu, il peut notamment être rappelé qu’en principe, la force majeure a simplement pour effet de suspendre l’obligation d’exécuter le marché de sorte que les pénalités de retard ne sont pas applicables. Mais la force majeure n’ouvre pas de droit à indemnité sauf disposition contraire du marché. Il en est ainsi de l’article 18.3 du CCAG Travaux qui permet au  titulaire d’obtenir une indemnisation s’il a signalé immédiatement les faits par écrit. 

Le périmètre du droit à indemnisation n’est pas clair dans la mesure où cette clause n’est que peu appliquée ; il semble porter sur la réparation des pertes de matériel directement provoquées par le cas de force majeure et subies par le titulaire ou ses sous-traitants (CE, 11 décembre 1991, n°81588). En revanche, il convient de préciser que cette indemnisation ne porte ni sur le manque à gagner imputable à la résiliation du contrat (entraîné par la circonstance que le cas de force majeure a rendu définitivement impossible l’exécution du marché) ni les pertes non directement imputables au sinistre (CE, 11 décembre 1991, n°81588). 

En deuxième lieu, une indemnisation pourrait également être recherchée sur le terrain de l’imprévision, c’est-à-dire, « lorsque survient un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant temporairement l’équilibre du contrat » (article L.6 du code de la commande publique)[iii]. Cette théorie repose sur l’idée que des charges extracontractuelles, non connues lors de la conclusion du contrat, doivent être couvertes par l’administration si elles pèsent lourdement sur le titulaire. Une telle charge « imprévisible » ouvre droit à une indemnisation afin de rétablir l’équilibre du contrat. Il s’agit alors d’identifier strictement cette nouvelle charge et d’en évaluer son ampleur afin d’établir l’indemnisation qui pourrait être demandée au pouvoir adjudicateur. La difficulté liée à la mise en œuvre de la théorie de l’imprévision tient cependant au fait que l’exécution du contrat doit pouvoir être poursuivie : or, s’il existe un cas de force majeure, la poursuite de l’exécution de la convention peut s’avérer impossible et la théorie de l’imprévision pourra ne pas jouer. Là encore, il convient donc en réalité d’apprécier au cas par cas chaque situation sans invoquer à tort l’existence d’une situation de force majeure. 

En dernier lieu, si l’épidémie a conduit le pouvoir adjudicateur à modifier unilatéralement le contrat, sans toutefois en bouleverser l’économie, le titulaire peut également envisager un éventuel droit à une indemnisation. Dans une telle hypothèse, là aussi, des discussions avec l’autorité contractante pourront donc se tenir aux fins de convenir d’une indemnisation pour le titulaire. 

*** 

En définitive, il s’agit donc de ne pas céder à la panique et d’examiner chaque situation, au cas par cas. Il est recommandé aux opérateurs économiques et personnes publiques d’être particulièrement attentifs notamment sur les points suivantes :

  •  Le contenu de leurs conventions : la portée exacte de leurs obligations contractuelles ;
  •  Le respect du formalisme prévu et la preuve des situations décrites. 

Il faut également s’assurer de la portée du contenu de toute correspondance adressée au contractant : il s’agira par exemple de ne pas déclarer une situation de force majeure de manière prématurée ou au contraire de ne pas omettre de le faire dans les délais requis. De même, il faut faire attention de ne pas adresser d’éventuelles correspondances qui viendraient par exemple lier un contentieux indemnitaire (réclamation préalable ou autres), sans en avoir préalablement apprécier les conséquences. 

Nos avocats et juristes sont bien évidemment à votre disposition pour vous accompagner ou répondre à vos interrogations sur tous ces sujets

Notes :

[i] Fiche de la DAJ, 18 mars 2020, «  La passation et l’exécution des marchés publics en situation de crise sanitaire »

[ii] Le CCAG Travaux ne prévoit quant à lui pas expressément une telle possibilité mais celle-ci existe du fait du régime même applicable aux contrats administratifs (en ce sens, Conseil d’Etat, 9 décembre 1932, n° 89655, Compagnie de tramways de Cherbourg).

[iii] La théorie de l’imprévision a été consacrée par le Conseil d’État dans son arrêt du 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage du gaz de Bordeaux.

EN SAVOIR PLUS

Télécharger la pièce jointe

Gilles Le Chatelier
Avocat associé
Découvrir son profil
Xavier Heymans
Avocat associé
Découvrir son profil