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Focus
Imaginer et construire les villes de demain
21/01/2021

A quoi ressembleront les villes de demain ? L’exercice est difficile… Pour autant, les objectifs affichés pour l’avenir de nos villes et plus largement de nos agglomérations paraissent se dessiner assez clairement.

Et le constat s’impose que les villes de demain seront soumises à des injonctions très diverses, au risque qu’elles se révèlent même parfois contradictoires.

Contenir l’étalement urbain semble aujourd’hui une ambition partagée de la plupart des acteurs. Mais comment alors parvenir à loger correctement l’ensemble des citadins de demain ? Et comment y arriver tout en créant au sein de ces espaces davantage de lieux permettant aux villes de mieux respirer, d’offrir des réponses efficaces au changement climatique, voire d’être nourricières pour leurs habitants si l’on vise l’agriculture urbaine.

Fort de ces éléments, il s’agit ici d’observer les pratiques actuelles, à travers leurs évolutions récentes, pour tenter d’identifier les outils qui pourraient être mobilisés pour favoriser l’émergence de nos cités de demain.

De l’urbanisme de projet à un urbanisme partenarial

Les réformes récentes du droit de l’urbanisme ont affiché l’ambition de créer un urbanisme de projet, c’est-à-dire de poser des règles adaptées aux projets que l’on cherche à mettre en œuvre, et non de se borner à une approche exclusivement réglementaire à laquelle les projets doivent ensuite se conformer.

Les exemples en sont nombreux, notamment depuis la loi ALUR du 24 avril 2014 et l’ordonnance du 23 décembre 2015 recodifiant la partie législative du premier livre du code de l’urbanisme : en modifiant l’architecture et le contenu des PLU, ces textes ont cherché à alléger la règle d’urbanisme afin d’en faire un outil plus opérationnel en en affirmant plus fortement les objectifs (affectation des sols et destination des constructions ; qualité urbaine, architecturale, environnementale et paysagère ; équipements et réseaux).

Ces réformes ont consacré l’émergence des nouvelles orientations d’aménagement et de programmation (OAP) applicables à des secteurs, dépourvues de règlement écrit, et ont posant le principe selon lequel « les règles peuvent consister à définir de façon qualitative un résultat à atteindre, dès lors que le résultat attendu est exprimé de façon précise et vérifiable ».

Cette logique de projet a reçu une traduction particulière au niveau des schémas de cohérence territoriale. En effet, l’ordonnance du 17 juin 2020 relative à la modernisation des SCOT a prévu la possibilité pour ces documents de comprendre un « programme d’actions » visant à préciser les actions – et donc le cas échéant les projets – prévues pour la mise en œuvre du schéma, et ce quels qu’en soient les porteurs.

On pourrait également mentionner les permis d’innover, de faire et d’expérimenter, issus des loi LCAP et ESSOC qui vont au-delà de la règle – qu’elle soit d’urbanisme ou de construction –puisqu’ils permettent à certaines conditions de s’en affranchir.

Ce mouvement juridique construit autour des concepts de règle unilatérale et de police administrative, s’accompagne d’un autre mouvement, fondé celui-ci sur l’idée d’un partenariat élargi avec les opérateurs et porteurs de projet privés et qui connaît un fort développement ces dernières années.

Certes, le droit de l’aménagement, depuis l’origine des ZAC et l’intervention des sociétés d’économie mixte concessionnaires d’aménagement, a de longue date constitué un terrain de jeu privilégié pour la réalisation de projets d’aménagement sous forme « partenariale ».

Toutefois, chacun peut aujourd’hui constater à travers sa pratique l’essor de nouveaux mécanismes partenariaux, lesquels apparaissent résulter assez directement de la raréfaction du foncier et des financements publics nécessaires à l’aménagement du territoire.

La première illustration en est, à l’évidence, le recours fréquent des collectivités publiques aux ventes avec charges, désormais plus communément désignées sous le vocable d’appels à projet.

Si les risques juridiques associés à ces « procédures », notamment sur le terrain de la commande publique ne sont pas anodins, le principe se veut relativement simple : il s’agit pour une collectivité publique qui maîtrise un foncier de le céder à un opérateur, à charge pour celui-ci de faire en sorte que le projet qu’il entend y développer s’inscrive dans la politique d’aménagement de la collectivité.

Toute la difficulté réside alors dans la nature des contraintes ou des orientations imposées par la puissance publique à l’occasion de cette vente.

Sur un autre plan, les difficultés de financement des équipements publics par la puissance publique ont conduit à la création d’un nouvel outil en 2009 : le projet urbain partenarial (PUP) prévu par les articles L. 332-11-3 et suivants du code de l’urbanisme.

Déconnecté d’une procédure d’aménagement particulière – comme le sont les conventions de participation en ZAC – le PUP permet, lorsqu’une ou plusieurs opérations d’aménagement ou de construction nécessitent la réalisation d’équipements autres que des équipements propres, de conclure une convention prévoyant la prise en charge financière de tout ou partie de ces équipements entre les propriétaires des terrains, les aménageurs, les constructeurs, d’une part, et la puissance publique, d’autre part.

Ce qu’il faut en retenir ici, c’est le caractère purement contractuel de ce dispositif, et la libre négociation de son contenu par les parties.

Ce ne sont là que quelques exemples qui pourraient être complétés par bien d’autres.

Mais leur point commun est qu’à travers ces derniers montages, partenariaux, l’administration tend à favoriser et à accompagner l’initiative privée et les projets que les acteurs de l’aménagement et de l’immobilier sont en mesure de réaliser, plutôt que d’en rester à une démarche trop réglementaire visant à permettre ou à interdire, ou de porter elle-même ces projets.

Logiquement, le revers de la médaille réside dans le risque juridique attaché à la mise en œuvre de partenariats mal ou irrégulièrement négociés et, par conséquent, la nécessaire sécurisation juridique dont ces nouveaux partenariats destinés à la fabrication des villes de demain, doivent faire l’objet.

La maîtrise de l’étalement urbain et la réversibilité des projets

Lutter contre l’étalement urbain, voire même y mettre un terme, induit un recentrage du développement des fonctions urbaines sur les villes elles-mêmes.

Ceci implique de faire en sorte que les villes de demain puissent muter facilement et que les constructions existantes à ou à réaliser puissent être réversibles pour pouvoir répondre efficacement tant aux besoins d’aujourd’hui qu’à ceux qui naîtront à l’avenir.

Cette approche est d’ores déjà présente à travers certains outils juridiques, et tendra certainement à s’amplifier plus encore demain.

En effet, nombreux sont les articles publiés et les initiatives prises sur le thème de l’urbanisme provisoire, transitoire ou éphémère et certaines collectivités sont particulièrement impliquées dans cette démarche au titre de leur politique en matière de ville résiliente.

Les jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ont d’ailleurs conduit le législateur à consacrer juridiquement cette démarche.

La loi du 26 mars 2018 relative à l’organisation des Jeux a ainsi créé le permis à double état. Il s’agit de permettre en une seule autorisation d’urbanisme la réalisation d’une construction présentant deux états : un état provisoire correspondant aux nécessités de la préparation, de l’organisation ou du déroulement des Jeux et un état définitif propre à ses affectations ou destinations postérieures au déroulement des jeux (phase héritage).

La phase provisoire relève pleinement de la démarche d’urbanisme provisoire : répondre à un besoin à un moment donné, sans obérer la capacité de l’ouvrage à répondre aux besoins de demain.

L’ambition affichée de promouvoir des villes résilientes devrait conduire au développement de ce phénomène.

A cet égard, l’avant-projet de loi « portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets » prévoit une série de mesures visant à réduire drastiquement la consommation d’espaces naturels et agricoles d’ici 2030, l’objectif étant de mettre le pays sur la trajectoire du zéro artificialisation nette (ZAN) pour stopper les 20 000 à 30 000 hectares d’espaces naturels, agricoles ou forestiers qui disparaissent chaque année en France, dont la moitié du fait de l’étalement de logements, comme le rappelle l’exposé des motifs traduisant les propositions de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) qui sera présenté au Conseil des ministres en février 2021.

Ainsi, cet avant-projet prévoit, pour les bâtiments dont la demande de permis de construire sera déposée après le 1er janvier 2023, l’obligation de faire l’objet, avant leur construction, d’une « étude du potentiel de réversibilité et d’évolution future ».

C’est clairement la volonté affichée de garantir la capacité de mutabilité des villes en faisant évoluer l’enveloppe urbaine et ses fonctions, plutôt qu’en consommant de nouveaux espaces.

Le dispositif ne sera cependant efficace que s’il permet, dans le même temps, de faire en sorte que les villes de demain continuent d’offrir toutes les fonctionnalités que l’on attend d’elles lorsqu’on a choisi d’y vivre, que ce soit en termes de nouvelles mobilités, d’offre commerciale ou de communications.

On sait également qu’existent des initiatives locales et des réflexions au niveau national pour organiser l’urbanisation temporaire et réversible sur la frange littorale, et plus exactement sur des terrains dont on sait que d’ici quelques dizaines d’années, le réchauffement climatique et le recul du trait de côte en résultant conduiront à ce qu’ils soient « sous l’eau ».

Ces illustrations montrent que l’urbanisme temporaire est doublement intéressant en ce qu’il peut constituer une réponse provisoire ou temporaire à un problème donné mais aussi, plus fondamentalement, offrir une solution durable pour que la ville d’aujourd’hui n’obère pas la ville de demain et permette à cette dernière d’être plus vertueuse.

La mobilisation des friches

Des propos qui précèdent et comme presque toujours en aménagement, on observe que le premier maillon de la chaîne demeure indéfectiblement lié au sujet foncier et plus précisément à la disponibilité foncière.

Dès lors, dans un contexte de rareté foncière et de lutte contre l’étalement urbain, les villes de demain s’avéreront plus sobres si l’urbanisation est prioritairement orientée sur les terrains déjà artificialisés, dont les friches pour la réhabilitation desquelles le plan de relance a mobilisé 300 millions d’euros.

Si l’on ne retient que les friches de sites industriels, en 2016, la base de données BASIAS en recensait environ 251 000 en France métropolitaine.

Certes, les friches peuvent présenter des contraintes opérationnelles et financières potentiellement lourdes si elles sont constituées de terrains pollués auxquels il s’agit de donner une nouvelle destination à travers un changement d’usage.

Cependant, toutes les friches ne sont pas nécessairement polluées, si l’on considère, par exemple, d’anciennes zones commerciales aujourd’hui désaffectées.

Et ces friches peuvent, bien au contraire, présenter différents atouts. Non seulement parce qu’il s’agit de terrains laissés à l’abandon, leur acquisition peut constituer une opportunité financière pour les opérateurs mais encore, elles peuvent souvent être localisées en centre-ville ou en proche périphérie.

En tant que telles, les friches ne font pas l’objet d’un régime juridique particulier, sinon qu’il peut s’agir d’espaces identifiés comme ayant vocation à muter dans les PLU, dont le rapport de présentation doit analyser la capacité de densification et de mutation de l’ensemble des espaces bâtis en tenant compte des formes urbaines et architecturales. A ce titre, il est fréquent que les friches fassent l’objet d’une OAP et que le PLU cherche donc à y faciliter la réalisation d’opérations d’aménagement ou de construction.

Des villes moins polluantes

Le sujet de la ville moins polluante a occupé une place essentielle lors des dernières élections municipales et les majorités élues dans les grandes agglomérations telles que Paris, Lyon, Marseille ou Bordeaux pour ne citer qu’elles, en avaient fait un axe essentiel de leur campagne.

Et les débats ne se limitaient plus, enfin, au seul sujet de la circulation automobile…

Mais, qu’il s’agisse de créer des forêts urbaines, de réduire les émissions de gaz à effet de serre ou de favoriser l’économie circulaire, le droit de l’urbanisme ne constitue pas – encore – un outil juridique véritablement adapté.

Certaines récentes initiatives vont toutefois en ce sens, et il faut les souligner.

Il en est ainsi, par exemple, des apports de la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019. Celle-ci a modifié le volet déplacement doux des PLU, témoignant ainsi de la volonté d’agir par ces documents en permettant, par exemple, aux promoteurs vertueux de réaliser moins d’aires de stationnement que le PLU ne l’exige en contrepartie de la mise à disposition de véhicules électriques ou de véhicules propres en auto-partage (art. L. 151-31 du code de l’urbanisme).

Rappelons également que la ville de Paris avait décidé dès 2019 d’intégrer dans son PLU des orientations d’aménagement et de programmation (OAP) en faveur du climat, afin de mieux traduire le contenu de son Plan Climat Air Energie Territorial (PCAET).

Ces rapides propos n’ont aucune prétention à l’exhaustivité. Face à un droit de l’urbanisme particulièrement mouvant, pour ne pas dire inconstant, ils visent uniquement à essayer d’identifier ce que pourraient être les principes essentiels susceptibles d’être mobilisés rapidement pour mieux penser et réaliser les villes de demain.

Un recours accru aux partenariats avec les opérateurs privés sous des formes à créer, des projets réversibles n’obérant pas l’avenir de nos villes et agglomérations et, au sein de celles-ci, l’utilisation prioritaire des espaces déjà artificialisés semblent d’ores et déjà s’affirmer comme des pistes majeures.

Il s’agit désormais d’en assurer la bonne traduction juridique pour que ces outils soient pleinement opérants et permettent d’atteindre les objectifs affichés.

Jean-Marc Petit
Avocat associé
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Xavier Heymans
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