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La résiliation triennale et l’application dans le temps de la loi du 18 juin 2014 « dite Pinel »
15/12/2020

Article publié au sein de la Revue des Loyers n°36 de décembre 2020

TJ Melun, ch. 1, cab. 1, 12 mai 2020, n° 18/01964
Textes visés : Code de commerce – Article L. 145-4 – Réponse ministérielle du 31 mai 20161
Repère : Le Lamy Baux commerciaux, n° 225-29

Les règles relatives à la durée ferme du bail commercial, issues de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, ne sont pas applicables aux baux en cours.

ANALYSE

En application de l’article L. 145-4 du Code de commerce, les baux commerciaux doivent être consentis pour une durée minimum de neuf années et le preneur dispose de la possibilité de délivrer un congé à l’issue de chaque période triennale.

Depuis une réforme de 19852, le preneur pouvait renoncer à sa faculté de délivrer un congé à l’issue d’une période triennale.

L’article 2, 1° de la loi Pinel a supprimé cette possibilité. Désormais, le preneur ne peut plus, en principe, renoncer à sa faculté de résiliation triennale du bail, sauf dans quatre cas précis énumérés à l’article L.145-4 du Code de commerce3.

Toutefois, la question qui s’est rapidement posée était de savoir si cette modification, instaurée par la loi Pinel, était applicable aux contrats en cours.

Les décisions judiciaires se prononçant sur ce point ne sont pas nombreuses4 et le Tribunal judiciaire de Melun a été récemment amené à se positionner dans le cadre d’un contentieux dont les faits d’espèce sont relativement simples.

Un bailleur consent à une société locataire, pour une activité de vente, un bail commercial.

Ce bail, qui est conclu le 21 octobre 2011, prévoit une durée ferme de neuf années, du 29 novembre 2011 au 28 novembre 2020, avec une renonciation de la société locataire à délivrer un congé à l’échéance des deux premières échéances triennales5.

Par exploit d’huissier en date du 23 mai 2017, la société locataire délivre un congé à l’échéance de la seconde période triennale, soit à effet du 28 novembre 2017, en soutenant :

— que les dispositions de l’article L. 145-4 du Code de commerce, telles que modifiées par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, dite loi « Pinel », seraient applicables au bail du 21 octobre 2011 ;
— et qu’en conséquence la durée ferme de neuf années n’est pas valable, puisque le bail du 21 octobre 2011 n’entre dans aucune des quatre exceptions visées à l’article L. 145-4 du Code de commerce, tel que modifié par la loi susvisée6.

Après avoir signifié une protestation à congé, le bailleur, qui soutient que le bail du 21 octobre 2011 se poursuit, saisit le Tribunal judiciaire de Melun afin de solliciter le paiement des loyers et charges dus en application dudit bail.

Avant d’exposer la teneur du jugement rendu le 12 mai 2020 (II), il convient de rappeler les règles d’application de la loi dans le temps (I).

I – Sur les règles d’application de la loi dans le temps

La loi Pinel prévoit des dispositions transitoires pour certaines de ses dispositions (comme, par exemple, en matière de droit de préemption ou encore en matière de réglementation des charges, taxes, redevances et impôts).

En revanche, rien n’est indiqué de manière expresse pour les dispositions de la loi Pinel relatives à la durée ferme du bail.
Il convient donc de se référer aux principes généraux d’application de la loi dans le temps (A) avant d’envisager les exceptions (B) et la réponse ministérielle du 31 mai 2016 (C).

A/ Les principes généraux d’application de la loi dans le temps

Il ressort de l’article 1er du Code civil que « Les lois et, lorsqu’ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication (…) ».

La loi Pinel a été promulguée le 18 juin 2014 et publiée au Journal officiel le 19 juin 2014. Elle est donc entrée en vigueur le 20 juin 2014.
En outre, il ressort de l’article 2 du Code civil que « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».

Ce principe de non-rétroactivité des lois signifie que la loi ne saurait, en principe, rétroagir sur des situations préexistantes. C’est pourquoi la loi nouvelle n’est pas applicable, en principe, aux contrats en cours.

Il existe toutefois des exceptions (de nature légale ou jurisprudentielle) à ce principe de non-rétroactivité des lois.

B/ Les exceptions légales et jurisprudentielles

Les lois peuvent prévoir expressément des dispositions transitoires qui dérogeront au principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle. Ainsi que nous l’avons rappelé supra, la loi Pinel a prévu différentes dispositions dérogatoires pour certaines de ses dispositions, mais aucune concernant la durée ferme du bail.

D’après la théorie des effets légaux du contrat, il convient de distinguer les effets du contrat (qui découlent de la seule volonté des parties), des effets légaux des contrats (qui découlent de la loi).

En effet, en application de cette théorie des effets légaux du contrat, la loi nouvelle est immédiatement applicable aux contrats en cours, par dérogation au principe de non-rétroactivité des lois, lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre les effets légaux d’un contrat7.

C/ La réponse ministérielle du 31 mai 2016

D’après une réponse ministérielle du 31 mai 2016, les modifications de l’article L. 145-4 du Code de commerce issues de la loi Pinel, et relative à la durée ferme des baux, seraient applicables immédiatement aux baux en cours.

La réponse ministérielle justifie cette application immédiate aux baux en cours par le fait que l’interdiction de principe des renonciations à délivrer un congé à l’échéance d’une période triennale « relève de l’ordre public de protection et que cette solution est justifiée par la nécessité d’assurer l’égalité de traitement des preneurs de baux commerciaux et dans un souci d’efficacité de la règle nouvelle »8.

Il convient toutefois de rappeler que les réponses ministérielles, sauf en matière fiscale, « ne sont que des actes indicatifs »9.

D’ailleurs, à plusieurs reprises, la Cour de cassation a eu l’occasion de prendre position dans un sens contraire aux réponses ministérielles, lorsqu’elles sont considérées comme étant « contra legem », c’est-à-dire contraires au droit positif10.

II – Sur la position du jugement du 12 mai 2020

Par sa décision du 12 mai 2020, le Tribunal judiciaire de Melun a considéré que :

« […] les dispositions de l’article L. 145-4 du Code du commerce […] telles qu’issues de la loi du 18 juin 2014 ne sont pas applicables au contrat de bail litigieux conclu antérieurement à cette loi ».

Cette décision adopte une position identique à celle retenue par la Cour d’appel de Poitiers dans son arrêt du 26 avril 201611. Toutefois, dans la mesure où la Cour d’appel de Poitiers n’avait pas motivé sa décision, et que son arrêt a été rendu avant la réponse ministérielle du 31 mai 2016, il était difficile d’en tirer un enseignement.

La position du Tribunal judiciaire de Melun est de considérer que, même si l’article L. 145-4 du Code de commerce est d’ordre public, il n’est pas pour autant applicable aux contrats en cours.

Le Tribunal prend le soin de vérifier notamment si la renonciation à la faculté de délivrer un congé à l’issue de chaque période triennale constitue un effet légal du contrat ou relève, au contraire, des accords et dispositions convenus entre les cocontractants.

En l’espèce, le Tribunal considère qu’il ne s’agit pas d’un effet légal du contrat puisque la renonciation à la faculté de délivrer un congé à l’issue de chaque période triennale constitue « une disposition convenue entre les parties qui porte sur un élément déterminant de l’équilibre contractuel ».

Le jugement du Tribunal judiciaire de Melun a toutefois fait l’objet d’un recours devant la Cour d’appel de Paris.
Affaire à suivre.

Par Hanan CHAOUI
Docteur en droit,
Avocat Associé,
Delcade, société d’avocats

1 Rép. min. à QE n° 93154, JOAN Q. 31 mai 2016, p. 4684.

2 Voir L. n° 85-1408, 30 déc. 1985, art. 13, JO 31 déc.

3 « – les baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans ; – les baux des locaux construits en vue d’une seule utilisation, à savoir les locaux monovalents ; – les baux des locaux à usage exclusif de bureaux ; – les baux des locaux de stockage mentionnés au 3° du III de l’article 231 ter du Code général des impôts » (C. com., art. L. 145-4).

4 Mis à part un arrêt de la Cour d’appel de Poitiers du 26 avril 2016 (CA Poitiers, 26 avr. 2016, n° 14/02891), nous n’avons pas identifié d’autres décisions, parmi les décisions disponibles sur les bases de données publiques.

5 L’article 5 « Durée » du bail du 2 octobre 2011 précise : « Le présent Bail est consenti et accepté pour une durée de neuf années entières et consécutives qui commenceront à courir à compter de la date de prise de possession des Locaux Loués par le Preneur telle qu’elle prévue à l’article ci-dessous à l’article 6. Par dérogation aux dispositions de l’article L. 145-4 du Code de commerce, le PRENEUR n’aura pas la faculté de donner congé à l’expiration de la première et de la seconde période triennale. Le PRENEUR s’engage en conséquence à demeurer au moins neuf ans dans les lieux, engagement qui constitue pour le BAILLEUR une condition déterminante du présent bail, sans laquelle il n’aurait pas contracté. […] ».

6 Voir note n° 2.

7 Voir notamment Cass. 3e civ., 13 déc. 1989, n° 88-11.056, Bull. civ. III, n° 237 et Cass. 3e civ., 15 mars 1989, n° 87-19.942, Bull. civ. III, n° 65 ; Cass. 3e civ., 3 juill. 2013, n° 12-21.541, Bull. civ. III, n° 89.

8 Rép. min. à QE n° 93154, JOAN Q. 31 mai 2016, p. 4684, précité.

9 Rép. min. à QE n° 36214, JOAN Q. 3 nov. 1980, p. 4620.

10 Cf. notamment Cass. com. 10 mars 1976, n°74-14681.

11 « L’article L145-4 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 18 juin 2014, seul applicable au bail conclu le 22 juin 2010 […] » (CA Poitiers, 26 avril 2016, n° 14/02891).

TEXTE DE LA DÉCISION (EXTRAITS)

« (…) La réponse à une question ministérielle n’a pas de valeur juridique et ne lie pas le juge. Il est de principe que le contrat reste soumis à la loi en vigueur au moment de sa conclusion. Toutefois, une loi nouvelle d’ordre public qui répond à un motif impérieux d’intérêt général s’applique immédiatement aux effets légaux du contrat. En l’espèce, il n’est pas contesté que l’article L. 145-4 est une disposition d’ordre public. Toutefois, la renonciation à la faculté de donner congé à l’issue de chaque période triennale ne constitue pas un effet légal du contrat mais une disposition convenue entre les parties qui porte sur un élément déterminant de l’équilibre contractuel. Ainsi, les dispositions de l’article L. 145-4 du Code du commerce quant à la possibilité de donner congé à l’issue de chaque période triennale telles qu’issues de la loi du 18 juin 2014 ne sont pas applicables au contrat de bail litigieux conclu antérieurement à cette loi. En l’espèce, l’article 5 du contrat de bail stipule que « par dérogation aux dispositions de l’article L. 145-4 du Code du commerce, le PRENEUR n’aura pas la faculté de donner congé à l’expiration de la première et de la seconde période triennale. Le PRENEUR s’engage en conséquence à demeurer au moins neuf (9) ans dans les lieux, engagement qui constitue pour le BAILLEUR une condition déterminante du présent bail, sans laquelle il n’aurait pas contracté ». Il s’en déduit que la société [locataire] ne pouvait donner congé à effet du 27 novembre 2017 (…) ».

TJ Melun, ch. 1, cab. 1, 12 mai 2020, n° 18/01964

Hanan Chaoui
Avocate associée
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