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Le Moniteur
Analyse de jurisprudences – Mars 2023
04/04/2023

Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, n°6238 (24/03/2023)

Concession – La redevance du péage autoroutier doit être acquittée par les usagers principalement concernés

CE, 27 janvier 2023, n°462752, mentionné dans les tables de Recueil.

Par un décret du 28 janvier 2022, le Premier ministre a approuvé un avenant à la convention de concession autoroutière conclu entre l’Etat et ASF pour la réalisation d’un nouveau tronçon de 6,2 km permettant le contournement par l’ouest de Montpellier (Hérault). Cette opération était financée par une majoration annuelle des tarifs applicables à l’ensemble des véhicules empruntant le réseau géré par la société ASF pour les exercices 2023 à 2026, alors que le contournement ouest de Montpellier était libre de péage.

Question

L’imposition d’une telle redevance à l’ensemble des usagers du réseau est-elle régulière ?

Réponse

Non. « En mettant, par la hausse tarifaire litigieuse, à la charge de l’ensemble des usagers de la totalité des 2 714 km du réseau autoroutier concédé à la société ASF le financement des travaux de réalisation [du] contournement ouest de Montpellier dépourvu de péage, la disposition tarifaire attaquée méconnaît la règle de proportionnalité entre le montant du tarif et la valeur du service rendu », considère le Conseil d’Etat. Dès lors, cette clause réglementaire du contrat de concession doit être annulée.

Contentieux – Le médiateur ne peut pas être le juge du contrat

CE, 29 décembre 2022, n°456673, mentionné dans les Tables.

Une province de Nouvelle-Calédonie a conclu avec une société un marché de gré à gré pour la réalisation de travaux de dragage et d’évacuation d’une rivière. Un litige est survenu entre les parties ayant justifié l’organisation d’une médiation qui n’a pas abouti. S’en est suivi un contentieux devant le tribunal administratif qui a condamné la province à verser à la société une indemnité pour solde du marché. Dans la formation de jugement condamnant la province figurait le magistrat ayant exercé la mission de médiation.

Question

Une telle circonstance entache-t-elle le jugement d’irrégularité ?

Réponse

Oui. Eu égard aux conditions d’intervention du médiateur prévues par les dispositions des articles L. 213-1 et L. 213-2 du Code de justice administrative, « le principe d’impartialité s’oppose à ce qu’un magistrat administratif choisi ou désigné comme médiateur […] participe à la formation de jugement chargée de trancher le différend soumis à la médiation ou conclue comme rapporteur public sur celui-ci », énonce le Conseil d’Etat. Par suite le jugement était irrégulier et c’est à bon droit que la cour administrative d’appel de Paris l’a annulé.

Résiliation du marché – Le décompte de liquidation pallie l’absence du DGD

CE, 27 janvier 2023, n°464149, mentionné dans les Tables.

Un centre hospitalier a confié le lot « VRD / Station-service » du projet de restructuration de l’hôpital à une société. De nombreuses difficultés dans l’exécution du marché l’ont conduit à prononcer sa résiliation.

L’hôpital a ensuite notifié un décompte de liquidation le 10 août 2020. Par lettre du 1er octobre 2020, la société a fait part de son refus de signer ce décompte et a transmis un mémoire en réclamation. Aucun décompte général définitif (DGD) du marché n’a été établi.

Question

Le décompte de liquidation se substitue-t-il ici au décompte général ?

Réponse

Oui. En l’absence de stipulations particulières dans le marché, il résulte du CCAG travaux (2009) qu’en cas de résiliation, l’établissement et la contestation du décompte de liquidation, qui se substitue alors au DGD établi dans les autres cas, sont régis par les articles 13 et 50 du CCAG.

La notification du décompte de résiliation après le délai de deux mois prévu à l’article 47.2.3 du CCAG, qu’elle réponde à une mise en demeure adressée au titulaire par le représentant du pouvoir adjudicateur ou pas, fait courir le délai de 45 jours imparti par l’article 13.4.4 au titulaire pour renvoyer au représentant du pouvoir adjudicateur le DGD signé. Faute d’avoir exprimé son refus de le signer, le titulaire sera alors regardé comme ayant accepté le décompte notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur.

Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, n°6235 (03/03/2023)

Permis de construire – Le dossier doit comprendre l’accord du gestionnaire du domaine public lorsque le projet comporte des éléments surplombant ce domaine

CE, 23 novembre 2022, n°450008, mentionné dans les tables du recueil Lebon

Un maire a délivré à une société un permis de construire et un permis modificatif pour un projet de construction d’un immeuble collectif. Celui-ci comprenait des balcons surplombant la voirie.

Un voisin a contesté ces décisions, estimant notamment que le dossier de demande d’autorisation aurait dû comprendre l’accord du gestionnaire du domaine public pour engager la procédure d’autorisation d’occupation temporaire (AOT).

Question

L’autorisation du gestionnaire du domaine public était-elle nécessaire ?

Réponse

Oui. Le Conseil d’Etat déduit des dispositions de l’article R. 431-13 du Code de l’urbanisme relatif aux pièces complémentaires exigibles que, lorsqu’un projet de construction comprend des éléments en surplomb du domaine public, le dossier de demande de permis de construire doit comporter une pièce exprimant l’accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d’AOT.

Peu importe, comme en l’espèce, que les balcons n’aient pas « pour effet de compromettre l’affectation au public du trottoir qu’ils surplombent » et qu’ils n’excèdent pas « le droit d’usage appartenant à tous ».

Réseaux – Un raccordement sans terme précis peut être regardé comme définitif au sens de l’article L. 111-12 du Code de l’urbanisme

CE, 23 novembre 2022, n° 459043, mentionné aux Tables

Un particulier appartenant à la communauté des gens du voyage a demandé le raccordement « provisoire » au réseau électrique d’un terrain lui appartenant pour y installer une caravane, laquelle n’avait pas été déclarée. Le maire s’est opposé à ce raccordement en raison, d’une part, du caractère inconstructible de la parcelle et, d’autre part, au motif que le raccordement envisagé était « définitif » et que le terrain était exposé à un risque grave d’inondation.

Question

Le maire pouvait-il légalement s’opposer au raccordement ?

Réponse

Oui. Il résulte de l’article L. 111-12 du Code de l’urbanisme que les bâtiments soumis à autorisation de construire ne peuvent être raccordés définitivement au réseau d’électricité si leur construction n’a pas été autorisée en vertu de ces dispositions. Dès lors qu’il estime, au vu des circonstances de l’espèce, que le raccordement est définitif, le maire peut donc faire usage de ses pouvoirs de police spéciale et s’opposer au raccordement. Le Conseil d’Etat précise que doit être regardé comme présentant un caractère définitif un raccordement n’ayant pas vocation à prendre fin à un terme défini ou prévisible, quand bien même les bénéficiaires ne seraient présents que lors de séjours intermittents et de courte durée.

Procédure – Une demande illégale de pièces complémentaires ne fait plus obstacle à la naissance d’un permis tacite

CE, 9 décembre 2022, n°454521, publié au Recueil

Une société a déposé un dossier de déclaration préalable (DP) en vue de l’implantation d’une antenne-relais. Dans le mois suivant ce dépôt, le maire de la commune lui a demandé de compléter son dossier en produisant une pièce non prévue par le Code de l’urbanisme. La société a fourni le document. Le maire s’est finalement opposé aux travaux au motif que le projet porterait atteinte à son environnement proche. La société a demandé la suspension de cette décision. Elle estimait que la demande de pièce n’avait pas eu pour effet de prolonger le délai d’instruction et qu’elle était bénéficiaire d’une décision de non-opposition tacite.

Question

La demande de pièces a-t-elle eu pour effet de prolonger le délai d’instruction ?

Réponse

Non. Le Conseil d’Etat rappelle qu’à l’expiration du délai d’instruction, naît une décision de non-opposition ou un permis tacite. Et opère un revirement de jurisprudence en jugeant que le délai d’instruction n’est ni interrompu, ni modifié par une demande illégale tendant à compléter le dossier par une pièce qui n’est pas exigée par le Code de l’urbanisme. Dès lors, une décision de non-opposition ou un permis tacite naît à l’expiration du délai d’instruction, sans que la demande irrégulière puisse y faire obstacle.

Gilles Le Chatelier
Avocat associé
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