Après avoir précisé les effets de certaines demandes de pièces irrégulières formulées par les services instructeurs [1] et de notifications de délais d’instruction erronés [2], le Conseil d’État, par une décision du 1er décembre 2023, vient de se pencher sur l’incidence du dépôt spontané, par les pétitionnaires, de pièces nouvelles en cours d’instruction. Cette question divisait encore la jurisprudence et les praticiens, plus de 15 ans après la réforme des autorisations d’urbanisme de 2005-2007…
Conseil d’État 1er décembre 2023, n°448905, Commune de Gorbio.
Les enseignements pratiques de cette dernière décision du Conseil d’Etat sont les suivants :
1/ En déposant spontanément des pièces nouvelles, les demandeurs s’exposent à un éventuel report du délai d’instruction.
Le Conseil d’État reconnait expressément la possibilité pour les pétitionnaires de déposer en cours d’instruction des pièces nouvelles pour que la décision de l’administration porte sur le projet ainsi modifié. Un tel dépôt peut être utile en cas d’évolution du projet, en évitant d’avoir ultérieurement recours à un permis modificatif, ou pour prévenir un refus.
L’arrêt conditionne toutefois cette possibilité à une demande formelle accompagnant les pièces nouvelles et à l’absence de modification qui changerait la nature même du projet (condition qui renvoie à la jurisprudence désormais applicable en matière de modificatif, la dénaturation du projet rendant nécessaire le dépôt d’un nouveau permis).
Sous cette réserve, le principe est que cette demande et ce dépôt de pièces sont sans incidence sur le délai d’instruction, l’absence de réponse à l’issue de ce délai pouvant donc donner naissance à une décision tacite.
Le Conseil d’État laisse toutefois à l’administration la possibilité de réagir avant le terme du délai d’instruction et d’indiquer ainsi au demandeur que ce dépôt nécessite de reprendre l’instruction dans un nouveau délai, déclenché par la réception de ces nouvelles pièces.
Cette réaction de l’administration peut être justifiée par l’objet des modifications, leur importance ou la date à laquelle elles sont déposées, si leur examen ne peut être mené à bien dans le délai restant. Tel peut être le cas lorsque de nouvelles consultations sont nécessaires (par exemple, en cas de modification de l’aspect extérieur d’un projet situé aux abords d’un monument historique, après un premier avis de l’ABF dès lors qu’une nouvelle consultation de l’ABF ne peut être menée dans le délai restant).
Le Conseil d’État s’est ainsi efforcé de concilier un nouveau droit reconnu aux pétitionnaires avec la nécessité de ne pas déstabiliser l’administration par des dépôts tardifs.
2/ En ne réagissant pas avant le terme du délai d’instruction à la suite du dépôt de pièces nouvelles, l’administration s’expose à la naissance d’une décision tacite.
On doit considérer en cas d’absence de réaction de l’administration avant le terme normal du délai d’instruction que ce dernier est toujours applicable et que peut naitre ainsi une décision tacite en l’absence d’une décision expresse notifiée avant l’échéance de ce délai. En dehors des cas limités de refus tacite, il s’agit d’un permis ou d’une non-opposition tacites, qui ne peuvent être retirés que pour illégalité, dans le délai de trois mois, et après une procédure contradictoire.
Si l’administration considère qu’elle doit s’inscrire dans le cadre de l’instruction d’une demande nouvelle, elle doit donc en informer expressément le demandeur, lui notifier le nouveau délai et, le cas échéant, dans le délai d’un mois à compter du dépôt, une demande (régulière…) de pièces complémentaires, si les pièces déposées génèrent un tel besoin (ce qui peut être le cas par exemple, en cas de nouveau surplomb du domaine public, de l’accord de son gestionnaire).
Aussi, si le dépôt de pièces nouvelles en cours d’instruction est en principe un droit, les demandeurs et les services instructeurs doivent être particulièrement vigilants à la nature des modifications et leur incidence sur l’instruction, selon la date à laquelle elles sont déposées.
Source : https://www.village-justice.com/articles/demandes-autorisations-urbanisme-les-incidences-depot-nouvelles-pieces-cours,48233.html