Une autorisation d’urbanisme ne peut pas être contestée par n’importe qui.
Les personnes recevables à contester un tel acte (permis de construire, permis de démolir, permis d’aménager, déclaration préalable, certificat d’urbanisme) sont limitativement définies par le code de l’urbanisme récemment modifié par la loi ELAN du 23 novembre 2018. Un récent arrêt du Conseil d’Etat du 13 février 2019 (n°410004) qui a traité la question de la recevabilité du recours du voisin donne l’occasion de faire le point sur la question. Afin d’être considéré comme ayant un intérêt à agir, le requérant doit répondre à des condition matérielles (I) ainsi qu’à des conditions temporelles (II). Quant aux associations, les conditions de recevabilité de leurs recours contre les autorisations d’urbanisme ont été durcies (III).
I. Les conditions matérielles de l’intérêt à agir
Depuis l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, récemment modifié par la loi ELAN, énonce les conditions de recevabilité pour contester une autorisation d’urbanisme. Les personnes recevables à agir sont celles qui occupent ou détiennent un bien immobilier (A) et qui sont impacté par le projet (B).
A. Occuper ou détenir un bien immobilier
L’auteur d’un recours en annulation contre une autorisation d’urbanisme doit justifier de l’occupation régulière ou de la détention d’un bien immobilier.
La détention ou l’occupation est notamment justifiée lorsque la personne bénéficie d’un titre de propriété, d’une promesse de vente, d’un bail, ou d’un contrat préliminaire à une vente d’immeuble à construire (principalement vente à l’état futur d’achèvement).
Concernant plus précisément la notion d’occupation régulière, le législateur impose, pour que le requérant dispose d’un intérêt à agir, qu’il occupe légalement[1] un bien impacté par le projet. L’hébergement précaire du requérant peut conduire à l’irrecevabilité de son recours[2]. En revanche, le recours du propriétaire d’un terrain nu, non occupé et non exploité peut être jugé recevable dès lors qu’il démontre que la construction projetée est de nature à affecter directement les conditions de jouissance de son bien[3].
Dans tous les cas, que le bien soit simplement occupé ou détenu, le nouvel article R. 600-4 du code de l’urbanisme inspiré par le rapport Maugüé et découlant du décret du 17 juillet 2018 impose au requérant de fournir systématiquement les pièces nécessaires à l’appréciation de son intérêt à agir et qui sont visées par l’article L. 600-1-2. Ainsi, sous peine d’irrecevabilité, le requérant doit fournir un titre de propriété, une promesse de vente, un bail, un contrat préliminaire à une vente d’immeuble à construire, un contrat de bail, ou tout autre acte de nature à établir le caractère régulier de l’occupation ou de la détention de son bien.
B. Être impacté par le projet
1. Impact du projet et non des travaux
Afin d’être considéré comme ayant un intérêt à agir par le juge, le requérant doit prouver que le projet ayant fait l’objet de l’autorisation d’urbanisme qu’il conteste affecte directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ou du bien qu’il occupe. Dans le cas contraire, le juge administratif peut rejeter la requête en l’estimant comme étant manifestement irrecevable par voie d’ordonnance et ce sans audience publique[4]. Ce cas de figure vaut également en ce qui concerne l’hypothèse où le requérant aurait été préalablement invité par la juridiction à apporter des précisions[5].
La loi ELAN du 23 novembre 2018 a apporté deux précisions de taille quant à l’objet du recours visé par l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme.
Premièrement, la loi a supprimé la référence à la notion de travaux. L’ancien article L. 600-1-2 visait effectivement, outre les constructions et aménagements, les travaux de nature à affecter les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien détenu ou occupé. Cette référence, qui pouvait être comprise comme visant les travaux de chantiers, a été enlevée afin d’éviter toute confusion. Le législateur de la loi ELAN fait désormais référence « au projet autorisé », l’idée étant d’englober toutes les réalisations autorisées par le projet qui ne sont pas obligatoirement des constructions ou encore des aménagements.
Deuxièmement, la loi a élargi le champ d’application du régime relatif à l’intérêt à agir. En effet, si initialement le législateur ne visait que les permis de construire, d’aménager et de démolir, il a élargi le champ des dispositions de l’article L. 600-1-2 à l’ensemble des recours contre « une décision relative à l’occupation ou à l’utilisation du sol » régie par le code de l’urbanisme. Cette modification permet d’intégrer les non-oppositions à déclaration préalable qui étaient initialement exclues du dispositif[6], les certificats d’urbanisme positifs ou encore les refus de constater la caducité d’une autorisation ou d’en prononcer le retrait.
2. Situation géographique
Bien qu’il n’existe pas de présomption d’intérêt à agir, la proximité plus ou moins importante entre le bien détenu ou occupé par le requérant et le projet litigieux peut plus ou moins alléger la charge de la preuve. Ainsi un voisin dit immédiat justifiera toujours plus facilement son intérêt à agir qu’un voisin éloigné. En effet le Conseil d’État estime qu’au regard de sa situation particulière le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir contre un permis de construire, d’aménager ou de démolir lorsqu’il fait état devant le juge d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction[7].
L’appréciation par le juge administratif de la notion de voisin immédiat peut cependant fluctuer selon les cas pour deux raisons principales. Premièrement, la seule contiguïté ne suffit pas toujours à démontrer que le projet litigieux génère une modification substantielle de la situation du requérant[8]. Deuxièmement, il arrive que la notion de voisin immédiat ne se cantonne pas systématiquement à la situation de voisin contigu[9]. Un récent arrêt du Conseil d’État du 13 février 2019 (n°410004) reflète bien cette fluctuation. Comme déjà évoqué plus haut, les dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme ne s’appliquent qu’aux autorisations d’urbanisme délivrées postérieurement au 19 août 2013. Cependant au sujet d’une autorisation d’urbanisme délivrée antérieurement, le Conseil d’État, dans l’arrêt du 13 février 2019, estime que l’intérêt donnant qualité à agir ne peut être évalué sur le seul fondement de critères de distance ou de visibilité confirmant une décision au sujet d’un autorisation délivrée en 2014[10]. Néanmoins dans la même décision, et ce de manière implicite, le Conseil d’État estime, comme il l’a déjà fait[11], qu’une contiguïté des fonds n’est pas indispensable pour se prévaloir de cette même qualité de voisin immédiat. Cette solution amène à constater que l’appréciation de la notion de voisin immédiat ne diffère pas réellement que l’autorisation d’urbanisme soit délivrée antérieurement ou postérieurement au 19 août 2013.
II. Les conditions temporelles
Outre l’appréciation matérielle de l’intérêt à agir du requérant, le juge examine également la date à laquelle l’introduction du recours est effectuée. Par conséquent, l’intérêt à agir ne peut disparaître en cours d’instance. En effet, par exemple, un voisin dont la recevabilité de la requête contre un permis d’aménager est incontestable ne perd pas son intérêt à agir si son bailleur lui a donné congé[12]. Cela implique également que l’intérêt à agir d’un requérant pourra être reconnu même s’il acquiert la qualité de voisin postérieurement à la réalisation des travaux autorisés par l’autorisation d’urbanisme attaquée[13].
III. Le cas des associations
Exclus expressément du champ d’application de l’article L. 600-1-2, les recours associatifs sont régis par l’article L. 600-1-1. Ainsi, cet article, modifié par la loi ELAN, dispose qu’une association n’est recevable à agir contre une décision relative à l’occupation ou l’utilisation des sols que si le dépôt des statuts de l’association en préfecture est intervenu au moins un an avant l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire.
Selon l’article R. 600-4 du code de l’urbanisme, et depuis le décret du 17 juillet 2018, les requêtes introduites par les associations doivent nécessairement être accompagnées des statuts de ces dernières ainsi que du récépissé attestant de leur déclaration en préfecture sous peine d’irrecevabilité. Afin d’apprécier l’intérêt à agir de l’association, le juge se fonde sur les statuts tels qu’ils ont été déposés à la préfecture antérieurement à la date de l’affichage en mairie de la demande du pétitionnaire[14].
Précisons enfin que pour certaines associations, la preuve de l’intérêt à agir est allégée. En effet, une association de protection de l’environnement agréée au titre de l’article L. 141-1 du code de l’environnement ainsi que toute association mentionnée à l’article L. 433-2 justifient d’un intérêt pour agir contre une autorisation d’urbanisme dans la mesure où cette dernière, d’une part, a un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et, d’autre part, produit des effets dommageables pour l’environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l’agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément[15].
Xavier Heymans
Avocat associé
ADALTYS
Julien Vierra
Elève avocat
[1] Le bien ne doit donc pas être occupé par voie de fait ou, du moins, sans titre d’occupation tel que notamment un bail.
[2] En revanche, dans la mesure où il invoque une situation de concubinage, stable et ancienne avec le propriétaire des lieux, le juge estime qu’il justifie d’une résidence régulière et habituelle, au sens de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme (CAA Marseille, 1ere ch., 20 avril 2015, n° 15MA00145).
[3] CE, 28 avril 2017, n° 393801.
[4] Article R. 222-1, 4° du code de justice administrative.
[5] CE, 10 février 2016, n° 387507.
[6] CAA Douai, 1re ch., 15 juin 2017, n° 16DA00129.
[7] CE, 13 avril 2016, n° 389798, Bartolomei.
[8] CAA Douai, 27 août 2018, n° 16DA01870.
[9] CE, 13 avril 2016, n° 389802.
[10] CE, 10 juin 2015, Brodelle, n°386121.
[11] CE, 13 avril 2016, n° 389798, Bartolomei.
[12] CAA Nantes, 2e ch., 30 décembre 2014, n° 13NT01278.
[13] CE, 29 novembre 1999, n° 182214.
[14] CE, 29 mars 2017, n° 395419.
[15] Article L. 142-1 du code de l’environnement.