Dans le cadre d’une affaire concernant l’importateur agréé, en Lettonie, de véhicules de la marque Kia et sa société mère, la Cour de Justice de l’Union Européenne rappelle[1] que, pour qualifier un accord d’anticoncurrentiel, il n’est pas nécessaire de démontrer l’existence d’effets restrictifs concrets sur la concurrence ; un effet potentiel suffisamment sensible suffit.
Le Conseil de la concurrence de Lettonie (ci-après « le Conseil ») a constaté que KIA Auto, en sa qualité d’importateur agréé de la marque en Lettonie, s’était accordée avec ses concessionnaires et réparateurs agréés sur des conditions de garantie obligeant ou incitant les propriétaires de véhicules Kia à utiliser exclusivement des pièces de rechange Kia et à confier l’ensemble des entretiens et des réparations à des représentants agréés.
Le Conseil a considéré que l’accord était restrictif de concurrence par effet, précisant que cette qualification n’exige pas la démonstration d’effets réels. Selon lui, « les effets négatifs sur la concurrence découleraient de la nature même des clauses restrictives, et il ne serait pas nécessaire de démontrer les effets qui se sont effectivement produits ».
Face au rejet du premier recours par un Cour administrative régionale, Kia Auto a décidé de se pourvoir devant la Cour suprême de Lettonie. Cette dernière, considérant que la Cour Administrative (juridiction de renvoi) n’avait pas procédé à une appréciation adéquate de la motivation de la décision du Conseil, a décidé de renvoyer l’affaire à la Cour administrative pour une nouvelle analyse
La juridiction de renvoi, jugeant que l’analyse de la Cour Suprême était contraire à la jurisprudence de la CJUE, a décidé de surseoir à statuer et de poser une question préjudicielle à cette dernière quant à la nécessité, pour une autorité, dans le cadre de l’examen d’une entente, de démontrer des effets concrets sur la concurrence ou si des effets potentiellement restrictifs suffissent ?
La CJUE a d’abord rappelé les principes régissant l’identification d’une restriction à la concurrence. Dans ce cadre, elle a souligné qu’il est suffisant de constater des effets potentiels sur la concurrence qui sont suffisamment sensibles. Cependant, pour évaluer de manière rigoureuse les effets de l’accord sur la concurrence, il est nécessaire d’élaborer un scénario contrefactuel approfondi. Ce scénario doit permettre d’analyser le jeu de la concurrence dans un environnement réel sans l’accord en question.
En s’appuyant sur la décision Post Danmark[2]1, la CJUE confirme que l’existence d’effets potentiels suffit, notamment s’il s’agit d’une pratique qui pourra, potentiellement, être de nature à entraver l’arrivée de concurrents potentiels sur le marché ou à évincer des concurrents au-moins aussi efficaces que l’entreprise en cause.
S’agissant d’une question préjudicielle, le CJUE a rendu une décision assez prévisible, qui s’inscrit dans l’état de l’art du Droit européen des pratiques anticoncurrentielles, sans se prononcer sur le fond de l’affaire. Ainsi, la CJUE a répondu que :
« L’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas à l’autorité de concurrence d’un État membre qui examine si un accord prévoyant des limitations de la garantie automobile qui obligent ou incitent les propriétaires d’automobiles à les faire réparer et entretenir auprès des seuls représentants agréés du constructeur automobile ainsi qu’à utiliser les pièces de rechange d’origine du constructeur automobile pour l’entretien périodique afin que la garantie automobile demeure valable peut être qualifié de restriction de la concurrence par effet, au sens de cette disposition, de démontrer l’existence d’effets restrictifs concrets et réels sur la concurrence. Il suffit que cette autorité établisse, conformément à ladite disposition, l’existence d’effets restrictifs potentiels sur la concurrence, à condition qu’ils soient suffisamment sensibles ».
Article coécrit avec Mario CIFUENTES.
[1] CJUE 5 décembre 2024, C-606/23
[2] CJUE 6 octobre 2015, Post Danmark (C-23/14, EU:C:2015:651)