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Lettre d’information - Le Radar n°2
Actualité jurisprudentielle dans le contentieux de la revente hors-réseau
11/12/2024

L’année 2024 a été marquée par l’émergence d’un nouveau type de contentieux de la revente hors réseau dans le secteur de la distribution automobile : la recherche d’une indemnisation pour perte de marge par des revendeurs hors-réseau suite à l’annulation de leur commande de véhicules.

Un jugement rendu le 9 octobre 2024 par le Tribunal de commerce de Chambéry (n°2023F00191) fait ainsi figure de cas d’école dans ce domaine.

En l’espèce, deux sociétés faisant partie du même groupe ont commandé dans le courant de l’année 2022 un nombre important de véhicules auprès d’un concessionnaire de la marque SKODA, et versé les acomptes correspondant. Alors que les premières dates de livraison des véhicules approchaient, le concessionnaire a annulé l’ensemble des commandes et refusé de restituer les acomptes aux sociétés acheteuses en raison d’un soupçon de revente hors réseau.

C’est ainsi que les sociétés ont fait assigner le concessionnaire devant le Tribunal de commerce de Chambéry afin de le voir condamner à réparer, notamment, leur préjudice de perte de marge, ces dernières n’ayant pu revendre les véhicules suite à l’annulation de leur commande.

Dans ce contexte, le concessionnaire a appelé en intervention forcée son concédant, duquel était venu l’ordre d’annuler les commandes passées par les deux sociétés, et sollicité auprès du Tribunal sa condamnation à le garantir des condamnations qui seraient éventuellement prononcées à son encontre. 

Il sera souligné ici que le concessionnaire, en tant que membre d’un réseau de distribution sélective, était nécessairement soumis à une interdiction de revente hors-réseau au titre de son contrat de distribution avec le concédant. Autrement dit, le concessionnaire était contractuellement tenu de ne pas vendre de véhicules à des revendeurs qui n’étaient pas eux-mêmes membres du réseau de son concédant, au risque de voir son contrat résilié.

Le concédant faisait valoir, in limine litis, l’incompétence du Tribunal de commerce de Chambéry pour connaître du contentieux de la revente hors réseau, au profit du Tribunal de Commerce de Lyon.

Bien que tranchant la seule question de sa compétence (I), le Tribunal de commerce de Chambéry a tenu à se prononcer, au fond, sur les conséquences à tirer d’une commande de véhicules passée en violation d’une interdiction de revente hors-réseau, au visa de l’article L442-2 du Code de commerce selon lequel « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de participer directement ou indirectement à la violation de l’interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence ».(II).

Il s’agit là du double intérêt de cette décision, d’autant que les décisions sur ce type de contentieux sont rares.

I- Sur la compétence

Le déclin de compétence du Tribunal de Commerce de Chambéry dans cette affaire ne faisait guère de doute.

On rappellera qu’aux termes de l’article L.442-4 du Code de commerce, « Les litiges relatifs à l’application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8 sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret ». L’article D.442-2 du Code de commerce précise l’application de cet article en indiquant que le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d’outre-mer sont fixés conformément au tableau de l’annexe 4-2-1 du Livre IV du Code de commerce. Ladite annexe liste 8 Tribunaux de commerce, avec l’indication du ressort auquel chacun de ces 8 Tribunaux est rattaché.

C’est donc fort logiquement que le Tribunal de Commerce de Chambéry – qui ne figure pas dans la liste de l’annexe 4-2-1 du Livre IV – se déclare incompétent au profit du Tribunal de Commerce de Lyon.

Toutefois, et alors qu’il n’y était pas tenu, le Tribunal tient à exprimer sa position sur la question de fond (sans la juger dans le dispositif).

II- Sur les conséquences à tirer d’une commande de véhicules passée en violation d’une interdiction de revente hors-réseau

Dans le cours du jugement, le Tribunal de commerce de Chambéry formule une position en droit qui est la suivante :

« Il est patent que ce litige relève de l’article L.442-2 du Code de commerce précité et que cette disposition (est) d’ordre public, et que tout contrat passé en violation de cet article est nul et ne pourra être exécuté ».

Ainsi pour le Tribunal de commerce de Chambéry, il ne fait aucun doute que la conséquence à tirer d’une commande de véhicules passée en violation d’une interdiction de revente hors-réseau est la nullité du contrat, bien que sa position ne soit pas davantage explicitée. Cette nullité peut à notre sens être recherchée sur deux fondements :

  • La contrariété à l’ordre public (a) ;
  • L’existence d’un dol (b).

a- La nullité de la commande passée en contrariété avec l’ordre public

Le caractère d’ordre public des dispositions de l’article L.442-2 du Code de commerce est confirmé explicitement par le Tribunal.

Le fondement de la nullité sera dès lors l’article 1162 du Code civil qui prévoit que le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties.

Les dispositions de cet article envisagent ainsi deux hypothèses : celle de la contrariété du contenu du contrat à l’ordre public, et celle où le but visé par les parties ou par l’une d’elles est contraire à l’ordre public, quand bien même ce but ne serait pas connu de l’autre partie.

Or, il ne fait aucun doute que le contrat de vente qui viole une interdiction posée par un article d’ordre public du Code du commerce, en l’occurrence l’article L.442-2 du Code de commerce, a des stipulations et poursuit un but qui dérogent à l’ordre public.

Au cas d’espèce, le Tribunal indique qu’il apparaissait « très clairement, en particulier du fait du nombre élevé de commandes passées » par les sociétés, « que celles-ci pouvaient être destinées à des ventes illicites car hors du réseau prévu ». Les deux sociétés n’ont d’ailleurs même pas pris la peine de cacher leur activité de vente de véhicules neufs au sein des pièces fournies au Tribunal, ni dans leurs prétentions.

Ainsi et bien que le Tribunal ne rentre pas dans les détails sur ce point, dès lors que le but poursuivi par les sociétés lors de la conclusion de leur commande était contraire à l’ordre public, en l’occurrence à la règle posée par l’article L.442-2 du Code de commerce, les commandes de véhicules passées par elles étaient nécessairement nulles.

Il ne fait en outre aucun doute qu’il s’agit d’une nullité absolue dès lors que la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général. Ce fondement peut ainsi être invoqué par toute personne ayant un intérêt à agir.

b- La nullité de la commande passée au moyen d’un dol

Pour rappel, aux termes de l’article 1137 du Code civil, le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges.

Bien que ce fondement ne soit pas évoqué par le Tribunal de commerce de Chambéry, notamment car aucune manœuvre ou aucun mensonge ne ressort des faits de l’espèce, il nous semble intéressant de considérer le dol comme possible second fondement de la nullité des commandes passées.

Nous avons en effet eu connaissance de contentieux avec des faits similaires où le revendeur hors-réseau dissimulait, de plus sciemment, au concessionnaire la destination réelle des véhicules acquis. Le mensonge consistait pour le revendeur hors réseau à indiquer aux concessionnaires que les véhicules commandés allaient servir de véhicules de fonction pour les salariés de l’entreprise, ce qui était de nature à fausser le consentement du concessionnaire vendeur.

Dans une telle situation, le dol peut être invoqué par les concessionnaires et ainsi, s’agissant d’un vice du consentement, entrainer la nullité du contrat sous réserve toutefois que la preuve puisse être rapportée de l’existence du mensonge.

Enfin, et contrairement à la nullité pour contrariété à l’ordre public, la nullité du contrat conclu au moyen d’un dol n’est que relative de sorte qu’elle ne peut être invoquée que par la personne victime du dol, autrement dit le concessionnaire qui accepté la commande.

Olivier Gauclère
Avocat Counsel
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Anaïs Bayeul
Avocate
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