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Lettre d’information - Le Radar n°3
Concurrence – Une amende de 470 millions d’euros prononcée par l’Autorité de la Concurrence dans le secteur du matériel électrique basse tension : une mise en garde pour les réseaux de distribution
12/03/2025

L’Autorité vient de sanctionner des pratiques verticales de fixation du prix de revente présentes dans un mécanisme dit de « dérogations » prévu dans les contrats cadres annuels conclus pour la distribution des produits de Schneider Electric et Legrand[1].

En appliquant le mécanisme, le fournisseur accordait une remise sur le prix d’achat au distributeur, afin que ce dernier puisse consentir aux clients des prix inférieurs sans revendre à perte. Selon l‘Autorité, les « dérogations », mises en place depuis 1990, ne sont pas, en soi, illicites. Toutefois, elles ont servi de support à deux ententes sur les prix :

  • Entente 1 : mise en place de décembre 2012 à septembre 2018 entre Schneider Electric et ses distributeurs Rexel et Sonepar.
  • Entente 2 : mise en place de mai 2012 à septembre 2015 entre Legrand et son distributeur Rexel.

A la suite de son analyse, l’Autorité a constaté, selon des « indices particulièrement probants », le concours de volontés entre Schneider Electric, Rexel et Sonepar autour d’une politique commune de prix fixes.

Cette affaire illustre la position de l’Autorité de la concurrence, selon laquelle, en l’absence de certitude, ou bien en l’existence d’ « indices particulièrement probants », il est préférable de prononcer une sanction pour la pratique concernée. Cette approche s’inscrit dans le contexte d’une politique générale qui accorde une valeur préférentielle aux « faux positifs » par rapport aux « faux négatifs ».

D’ailleurs, cette décision a été l’occasion de rappeler le standard de preuve exigé pour une entente sur les prix[2]. Selon le principe général, la preuve d’un accord au sens de l’article 101 TFUE requiert la démonstration de ce que les entreprises en cause ont exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée. Cependant, s’agissant d’une entente sur les prix, l’Autorité rappelle qu’il suffit d’établir une invitation d’une partie à mettre en œuvre la pratique tarifaire et un acquiescement de l’autre à cette invitation[3].

L’Autorité rappelle la position de la Cour d’appel de Paris, alignée sur la jurisprudence européenne[4]. Cette dernière établit que l’existence d’une politique de surveillance ne constitue pas un critère indispensable pour la preuve d’une entente sur les prix, contrairement à ce qui était considéré auparavant.

Dans ce contexte, à moins qu’il ne résulte d’une stratégie commerciale autonome et qu’il soit inhérent au libre jeu de la concurrence, le seul alignement conscient sur une politique de prix fixes souhaitée par un fournisseur peut révéler l’existence d’un concours de volontés autour d’une telle politique.

La décision de l’Autorité de la Concurrence, montrant son analyse actuelle des accords verticaux sur les prix au sein des réseaux de distribution, devrait donc servir de mise en garde à ces derniers afin de veiller à ce que l’application de mécanismes contractuels, en principe licites, ne serve pas de support à une entente.

La décision de l’Autorité a fait l’objet d’un recours en appel. Il convient donc de patienter pour connaître la suite que la Cour d’appel donnera à ce litige.

Article coécrit avec Mario CIFUENTES.


[1] Décision de l’Autorité de la Concurrence du 29 octobre 2024, n° 24-D-09

[2] point 444

[3] CA Paris 6 octobre 2022, Apple, n° 20/08582, point 456

[4] CJUE 29 juin 2023, Super Bock, C-211/22, point 57 ; CJUE 6 janvier 2004, Bundesverband der Arzneimittel-Importeure eV et Commission des Communautés européennes contre Bayer AG C-02/01 P et C-03/01 P (aff. jointes), point 89

Françoise Brunagel
Avocate associée
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