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Lettre d’information
Brève de l’énergie n°2 : Le sort des tarifs réglementés de vente de l’énergie – Commentaire de l’avis du CE du 6 juin 2019 (n°397876)
09/07/2019

Le 6 juin dernier [1], le Conseil d’Etat a exprimé son avis sur la lettre rectificative au projet de loi relatif à l’énergie et au climat, élaborée par le Gouvernement afin de mettre le régime juridique des tarifs réglementés de vente de l’énergie en cohérence avec les dernières jurisprudences communautaires et nationales. 

Cet avis nous offre ainsi l’occasion d’aborder ce sujet majeur pour les acteurs du droit de l’énergie : le sort des tarifs réglementés de vente de gaz et d’électricité (TRV).

Bonne lecture…

Les tarifs réglementés de vente de gaz et d’électricité

Présentation – Tout en organisant l’ouverture à la concurrence de la fourniture d’énergie [2] sous l’impulsion des directives européennes [3], en reconnaissant progressivement à l’ensemble des consommateurs la liberté de choisir leur fournisseur, la France a choisi de maintenir des tarifs réglementés de fourniture de gaz et d’électricité [4].

Ces tarifs, dont les évolutions sont fixées par les pouvoirs publics [5], ne peuvent être proposés que par les fournisseurs historiques (EDF, ENGIE ou les entreprises locales de distribution).

Sous la pression de la Commission européenne [6] et du juge communautaire, le bénéfice de ces tarifs réglementés de vente a été peu à peu exclu pour les grands et moyens consommateurs professionnels.

En particulier, par une importante décision du 20 avril 2010 dite Federutility (Affaire C-265/08) concernant la réglementation italienne des prix du gaz, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a strictement subordonné la validité de ce type de dispositif à la poursuite d’un « intérêt économique général consistant à maintenir le prix de fourniture du gaz naturel au consommateur final à un niveau raisonnable » et, par conséquent, à leur limitation dans le temps.

Aujourd’hui, ils bénéficient en France aux consommateurs domestiques [7] et aux petits consommateurs professionnels qui le souhaitent. Ceux-ci disposent ainsi de l’alternative suivante :

–  Soit souscrire une offre faisant application des tarifs réglementés de vente auprès de l’un de ces fournisseurs historiques ;

–  Soit souscrire une offre faisant application des prix de marché auprès de l’un de ces fournisseurs historiques ou d’un fournisseur dit « alternatif ».

Or, deux décisions récentes sont venues remettre en cause la compatibilité de cette réglementation avec les critères énoncés par la CJUE.

La remise en cause des tarifs réglementés de gaz – Saisie de deux questions préjudicielles par le Conseil d’Etat, la CJUE a, par une décision du 7 septembre 2016 [8], estimé que l’actuel régime des tarifs réglementés de gaz naturel constitue une entrave à la concurrence, alors même qu’il ne fait pas obstacle à ce que des offres concurrentes soient proposés à des prix inférieurs à ces tarifs par tous les fournisseurs sur le marché. Elle a rappelé qu’un tel dispositif ne peut être admis qu’à la condition de poursuivre un objectif d’intérêt économique général, tel que la sécurité d’approvisionnement et la cohésion territoriale, qu’il ne soit pas discriminatoire et qu’il respecte le principe de proportionnalité.

Suivant l’interprétation donnée par la CJUE et après avoir examiné les motifs invoqués par le Gouvernement pour en justifier l’existence, le Conseil d’Etat a, par un arrêt du 19 juillet 2017 [9], considéré que l’actuelle réglementation des prix de fournitures du gaz naturel constitue une entrave à la réalisation d’un marché du gaz naturel concurrentiel qui « ne poursuit aucun objectif d’intérêt économique général ».

Il a en effet estimé qu’elle ne peut être regardée ni « comme visant à garantir la sécurité de l’approvisionnement français en gaz naturel », ni « comme visant l’objectif d’harmoniser le prix du gaz sur l’ensemble du territoire national » ou « à garantir un prix raisonnable de la fourniture du gaz ».

La fragilisation des tarifs réglementés d’électricité – Ultérieurement saisi d’un recours dirigé contre une décision relative aux tarifs réglementés d’électricité, le Conseil d’Etat a, par un arrêt rendu le 18 mai 2018 [10], jugé que, contrairement aux tarifs réglementés de vente du gaz, « l’entrave à la réalisation d’un marché de l’électricité concurrentiel que constitue la réglementation tarifaire contestée peut être regardée comme poursuivant l’objectif d’intérêt économique général de stabilité des prix ».

Cependant, le Conseil d’Etat a considéré que cette réglementation n’est pas proportionnée à l’objectif ainsi poursuivi, à deux titres :

–  d’une part, en ce qu’elle présente un caractère permanent et qu’elle ne prévoit pas de réexamen périodique de la nécessité d’une telle intervention étatique sur les prix de vente ;

–  et d’autre part, en ce qu’elle s’applique sans distinction à tous les consommateurs finals souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36kVA, qu’ils soient domestiques ou non domestiques.

Il en a déduit que le dispositif actuel va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs d’intérêt économique général qu’il poursuit, en méconnaissance du droit communautaire.

La lettre rectificative et l’avis du 6 juin 2019

La version initiale du projet de loi relatif à l’énergie et au climat – Le projet de loi relatif à l’énergie et au climat a été déposé le 30 avril 2019 par le Gouvernement et fait l’objet d’une procédure accélérée. Ce projet a notamment pour objet de modifier les objectifs de la politique énergétique française, de simplifier les procédures applicables aux projets d’énergies renouvelables et d’autoriser le Gouvernement à transposer par ordonnance le Clean Energy Package. Il traite de nombreux sujets fondamentaux pour le secteur de l’énergie tels que le dispositif des certificats d’économies d’énergie (« CEE »), ou la limitation des émissions de gaz à effet de serre du secteur de la production d’électricité.

La lettre rectificative. – Le 24 mai 2019, le Gouvernement a adressé au Conseil d’Etat une lettre rectificative à ce projet de loi [11] en vue d’y intégrer une série de dispositions visant à mettre fin aux tarifs règlementés de vente de gaz et d’électricité. Initialement introduites dans les articles 213 à 215 de la loi relative à croissance et à la transformation des entreprises, elles avaient été censurées par le Conseil constitutionnel dans une décision n°2019-781 DC du 16 mai 2019 au motif qu’elles ne présentaient pas de lien, même indirect, avec celles qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale [12].

Après son examen par le CE, la lettre rectificative a été présentée en Conseil des ministres le 12 juin dernier.

Les dispositions relatives aux TRV de gaz – Prenant en compte ces derniers développements jurisprudentiels, la lettre rectificative vient procéder à l’abrogation des tarifs réglementés de vente du gaz naturel tout en maintenant les contrats en cours pendant une période transitoire d’un an pour les clients non-domestiques et courant jusqu’au 30 juin 2023 pour les clients domestiques.

Elle précise que durant cette période, les clients concernés devront être informés par leurs fournisseurs et bénéficieront du comparateur d’offres mis en place par le Médiateur national de l’énergie [13] afin qu’ils puissent choisir leur nouveau fournisseur à prix de marché de façon parfaitement éclairée.

Dans son avis du 6 juin, le Conseil d’Etat considère que ces deux délais sont justifiés, notamment pour permettre aux consommateurs de comparer les différentes offres de marché.

Le Conseil d’Etat a toutefois émis un avis négatif sur les dispositions permettant aux consommateurs de conclure, durant la période transitoire, un nouveau contrat aux TRV de gaz, en considérant que la période transitoire étant destinée à permettre l’extinction de l’ensemble des contrats conclus en méconnaissance du droit de l’Union.

La lettre rectificative ajoute d’ailleurs des dispositions permettant d’instaurer des sanctions pécuniaires aux fournisseurs qui auraient conservé un grand nombre de contrats TRV à l’issue de cette phase, proportionnelles au nombre de clients concernés.

Le Conseil d’Etat a admis la légalité de ce dispositif sous réserve de fixer un plafond de peine encourue de manière claire et prévisible [14] et de prendre en compte, dans la modulation de la sanction, l’avantage économique dont a bénéficié le fournisseur en conservant ces clients.

Le Conseil d’Etat recommande que ce pouvoir de sanction soit attribué au Comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS) de la Commission de régulation de l’énergie, conformément à la répartition des pouvoirs en droit de la régulation.

Les dispositions relatives aux TRV d’électricité. La lettre rectificative introduit également des dispositions modifiant l’article L.331-7 du code de l’énergie afin de transposer les dispositions de la Résolution législative du Parlement européen du 26 mars 2019 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité. Il en résulte une restriction du champ d’application des TRV d’électricité aux sites souscrivant une puissance inférieure ou égale 36 kVA des clients domestiques et clients non domestiques employant au maximum 10 personnes (dite « micro-entreprise ») et ne dépassant pas un chiffre d’affaires fixé par la directive.

A l’instar du dispositif d’accompagnement prévu pour les contrats conclus aux TRV de Gaz, la lettre instaure un période provisoire pendant laquelle les clients ne pouvant plus bénéficier des TRV d’électricité devront conclure un nouveau contrat de fourniture à prix de marché.

Dans le prolongement de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat en mai 2018, la lettre rectificative met également en place une évaluation périodique de ce dispositif.

Dans son avis du 6 juin 2019, la Conseil d’Etat considère que ces nouvelles dispositions sont conformes aux dispositions de la directive du 26 mars 2019, en recommandant que les fournisseurs puissent bénéficier, par transmission automatisée, des données qui leur sont strictement nécessaires pour identifier l’ensemble de leurs clients non-domestiques qui ne seraient plus éligibles au nouveau dispositif réduit de tarifs réglementés d’électricité.

La lettre rectificative au projet de loi, l’avis du Conseil d’Etat et l’étude d’impact modifiée du projet de loi ont été déposés au bureau de l’Assemblée nationale. La Commission des affaires économiques y a apporté plusieurs amendements, essentiellement rédactionnels. A suivre lors des débats en séance publique.

_______________________

[1] CE Avis du 6 juin 2019, n°397876, que le Gouvernement a décidé de rendre public

[2] La fourniture doit être distinguée de la distribution d’énergie, qui est assurée par des gestionnaires de réseaux de distribution et consiste en une activité d’exploitation et d’entretien réseaux afin d’acheminer l’énergie jusqu’aux consommateurs finaux

[3] V. notamment la première directive de libéralisation de l’électricité et du gaz 96/92/CE du parlement européen et du conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité.

[4] Article 4 de la loi n°2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement d] service public de l’électricité, article 7 de la loi n°2003-8 du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité et au service public de l’énergie

[5] La CRE établit une à deux fois par an des nouveaux tarifs en application d’une formule tenant compte des coûts de production de l’électricité constatés et estimés, du prix régulé de l’électricité nucléaire et des coûts commerciaux d’EDF.

[6] Décision de la Commission européenne du 12 juin 2012, SA.211918.

[7]  Sites dont la consommation en gaz est inférieure à 30 000kWh/an, ou dont la puissance électrique souscrite est inférieure ou égale à 36kVA.

[8] CJUE, 7 septembre 2016, « ANODE », Affaire C-121-15.

[9] CE 19 juillet 2017, ANODE, n°370321

[10] CE 18 mai 2018, ANODE, n°413688.

[11] Après son examen par le CE, la lettre rectificative a été présentée en Conseil des ministres le 12 juin dernier.

[12] Cela constituait alors une méconnaissance de l’article 45 de la Constitution qui prévoit que : « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. »

[13] Site energie-info.com

[14] Plafond qu’il propose de fixer à 200 euros par client conservé

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Lucie Paitier
Avocate associée
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