Alors que les parlementaires discutent du projet de loi ELAN et de nouvelles dispositions législatives intéressant le contentieux de l’urbanisme, un décret n°2018-617 du 17 juillet 2018 est venu apporter, comme cela avait été annoncé, des modifications importantes dans ce même domaine. L’optique est clairement de rééquilibrer la situation des promoteurs face aux recours, de sécuriser davantage les opérations de construction et de favoriser la mise sur le marché de nouveaux logements.
La mesure phare du décret consiste à prévoir un délai de jugement de 10 mois pour les recours contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements ou contre les permis d’aménager un lotissement. En pratique, les délais de jugement sont actuellement de 1 an à 2 ans et 1/2 selon les tribunaux administratifs. De tels délais entraînent souvent, par eux-mêmes, l’abandon du projet par le promoteur ou le propriétaire des terrains même si le recours est peu sérieux et cette situation contribue à la multiplication des recours, ne serait-ce que pour éviter la mise en œuvre du permis. Codifié au nouveau R. 600-6, cet article prévoit en outre que les cours administratives d’appel, qui seraient saisies d’un appel de ces jugements, statueront dans le même délai.
La seconde mesure importante concerne la cristallisation automatique de l’argumentation des parties. Elle tend à garantir l’effectivité de la précédente : rendre un jugement rapidement n’est possible que si les parties ont produit leur argumentation et dévoilé tous leurs arguments dans un tel délai court. Un nouvel article R. 600-5 du code de l’urbanisme instaure ainsi, dans le cadre d’un recours contre une décision d’occupation ou d’utilisation du sol régie par le code de l’urbanisme, une cristallisation des moyens automatique, passé un délai de deux mois à partir de la communication aux parties du premier mémoire en défense. Une fois ce délai expiré, les parties ne pourront plus invoquer de nouveaux moyens. Un garde-fou est prévu puisque le président de la formation de jugement ou le magistrat désigné peut, à tout moment, fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens lorsque le jugement de l’affaire le justifie.
Ces articles R. 600-5 et R. 600-6 du code de l’urbanisme seront applicables aux requêtes enregistrées à compter du 1eroctobre 2018.
Toujours pour ce qui concerne le délai de jugement, la suppression « temporaire » de l’appel pour les litiges portant sur des permis de construire des logements situés dans les zones dites « tendues » est prorogée jusqu’au 31 décembre 2022 (au lieu du 31 décembre 2018). Cette mesure contribue en pratique à raccourcir considérablement le délai global de jugement.
Pour ce qui concerne l’intérêt à agir, qui avait déjà été circonscrit par la loi Bosson de 1994 pour les associations et l’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013 pour les autres tiers, les requérants devront produire dès le stade de la requête et à peine d’irrecevabilité, tout acte de nature à établir le caractère régulier de l’occupation ou de la détention de son bien, comme notamment un titre de propriété ou un bail. De même, et toujours à peine d’irrecevabilité, une association devra quant à elle produire ses statuts ainsi que le récépissé attestant de sa déclaration en préfecture. Le but de cette mesure est notamment de permettre au juge de déceler plus rapidement les irrecevabilités manifestes et de rejeter les recours par simple ordonnance. Elle permettra par ailleurs de mieux apprécier le caractère abusif ou non de certains recours. Cette exigence s’imposera aux requêtes dirigées contre des décisions intervenues à compter du 2 octobre 2018.
Plus accessoirement, est créée la possibilité pour toute personne de se faire délivrer par le greffe des juridictions un document qui atteste soit de l’absence de recours contentieux ou d’appel portant sur une autorisation d’urbanisme, soit dans le cas contraire, de la date d’enregistrement du recours ou de l’appel. Il en est de même pour les pourvois en cassation. Cette modification est destinée à unifier les pratiques des juridictions, dont certaines n’acceptaient plus de délivrer cette attestation, ce qui retardait voire empêchait certaines ventes dès après l’extinction supposée des délais de recours. On peut toutefois regretter qu’aucun délai n’ait été imparti aux juridictions pour répondre aux demandes…
Ce nouvel article entre en vigueur le 1eroctobre 2018.
Enfin, le contentieux de l’urbanisme profitera d’une modification qui concerne l’ensemble du contentieux administratif. Le décret oblige les requérants, dont la requête en référé suspensiona été rejetée, à confirmer le maintien de leur requête au fond dans le délai d’un mois à compter à compter de la notification du rejet. Il leur appartiendra d’y procéder spontanément. L’oubli de cette nouvelle formalité est sévère : le requérant sera réputé s’être désisté de sa requête au fond. Cette mesure, inscrite à l’article R. 612-5-2 du Code de Justice administrative, concernera les requêtes au fond enregistrées à compter du 1eroctobre 2018.
Ce décret montre ainsi à nouveau la forte volonté du gouvernement de limiter les impacts des recours. La loi ELAN devrait quant à elle reprendre les mesures inscrites dans le projet de loi et les enrichir. A suivre donc…