En quelques jours, l’article 1218 du Code civil définissant la force majeure est devenu singulièrement populaire.
On a souvent en tête le triptyque caractérisant légalement la force majeure à savoir extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité.
Dès lors qu’un contrat a été conclu en ces temps révolus où le COVID-19 ne sévissait pas, on peut admettre que les deux premiers critères sont remplis.
Reste celui de l’irrésistibilité qui suppose qu’il soit impossible (et pas seulement plus difficile) d’exécuter le contrat.
Sur ce point, nous allons d’autant moins tenter de jouer les Cassandre que la force majeure s’apprécie au cas par cas.
Davantage, il y a peu de références car les tribunaux n’ont guère eu l’occasion de juger d’événements de l’ampleur de celui que nous connaissons actuellement.
En revanche, et au-delà de la définition légale, nous vous proposons ici huit fiches mettant un focus sur quelques aspects moins connus de la force majeure.
- Peut-on renoncer à la force majeure ?
- Une force majeure à géométrie variable
- Peut-on aménager la force majeure dans les contrats « BtoC » ?
- Faut-il notifier la force majeure ?
- Assurance et force majeure ou pourquoi le COVID-19 n’est (certainement) pas assurable ?
- L’imprévision est-elle un bon succédané de la force majeure ?
- Peut-on invoquer la force majeure en cas d’impossibilité de payer une dette ?
- La force majeure dans les contrats internationaux
1/ Peut-on renoncer à la force majeure ?
Oui, alors qu’en principe, la force majeure a un effet exonératoire de responsabilité, le contrat peut stipuler qu’une partie sera tenue même en cas de force majeure.
En effet la force majeure n’est pas d’ordre public si bien qu’il est possible d’y renoncer contractuellement, à l’avance.
En pratique, dans les contrats de location ou crédits baux d’équipement industriel, il n’est pas rare que la perte du bien loué soit laissé à la charge du locataire même en cas de force majeure.
La jurisprudence exige généralement une clause expresse pour que le débiteur de l’obligation soit tenu même en cas de force majeure.
En présence d’une clause restant générale quant à l’origine des désordres pour imposer la réalisation des grosses réparations au locataire, la Cour de cassation a jugé que « sauf stipulation expresse contraire, l’obligation de réparer pesant sur le locataire cesse en cas de force majeure » (Civ. 3, 31 oct. 2006, no 05-19.171).
Il faut donc retenir qu’on ne renonce pas implicitement à la force majeure.
2/ Une force majeure à géométrie variable.
Tout comme il leur est possible d’écarter la force majeure, les parties peuvent l’aménager par exemple en énumérant les cas constitutifs de force majeure.
Toutefois, une clause trop large pourra être jugée non écrite si elle aboutit à priver de sa substance l’obligation essentielle du débiteur (art. 1170 du Code civil).
En cas de doute, il appartiendra au juge de décider si une liste figurant sur le contrat a un caractère limitatif ou seulement indicatif (TC Paris, 7 septembre 2016, n° 2016003404).
A vrai dire, les clauses de force majeure constituent un terrain d’élection pour l’interprétation car il est rare que les parties y prêtent une attention particulière sauf contrats spécifiques tels que les transports de biens précieux.
Il faut ici rappeler que la jurisprudence interprète strictement les clauses aménageant la définition de la force majeure.
Par exemple, alors qu’un contrat admettait que la responsabilité du prestataire serait dégagée « en cas de survenance d’événements présentant les caractères juridiques de la force majeure et du cas fortuit tels que (‘) le vol avec violence(…) », la Cour d’appel de Paris a jugé que le caractère insurmontable d’un vol ne pouvait s’apprécier « que dans l’exécution du contrat soit au vu des circonstances même si le vol est commis avec violences ou agression ». ( CA Paris, 28 juin 2019, n° 1720180).
Ou encore, si une clause énumère des cas de force majeure tout en se référant à la jurisprudence des juridictions françaises, l’application de la force majeure aux évènements énumérés est subordonnée à l’établissement de leur caractère imprévisible et irrésistible. ( CA Paris, Pôle 5 – chambre 11, 16 juin 2017, n° 16/19997).
Ainsi, dans ces deux arrêts, il peut y avoir survenance de l’un des événements visés par la clause mais pour autant, la force majeure ne sera pas retenue faute d’existence préalable des critères légaux de la force majeure.
Tout est donc dans la rédaction du contrat.
3/ Peut-on aménager la force majeure dans les contrats « BtoC » ?
Le fait que le contrat soit conclu avec un consommateur n’exclut pas en soi un aménagement de la force majeure sous réserve qu’il n’aboutisse pas à une clause abusive en générant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
La Cour de cassation a ainsi admis, dans le secteur protégé de la vente d’immeuble à construire, une clause majorant le délai de réalisation des travaux « des jours d’intempéries, au sens de la réglementation du travail sur les chantiers de bâtiment, (…), de même que pour des retards consécutifs à la grève et au dépôt de bilan d’une entreprise, et de manière générale, en cas de force majeure » ( Cass 3ème civ 24 Octobre 2012 – n° 11-17.800).
C’est donc une question de mesure.
A propos des contrats de fournisseurs FAI, la Commission des clauses abusive s’est penchée sur les clauses qui, par le biais d’une définition de la force majeure plus large qu’en droit commun, « y font notamment entrer, sans distinction, la survenance de tout événement indépendant de la volonté du fournisseur, ou encore la panne d’ordinateur ».
Elle recommande d’éliminer de telles clauses ayant pour objet ou effet « d’écarter la responsabilité du professionnel par le moyen d’une définition de la force majeure plus large qu’en droit commun, » (Recommandation N°03-01, Accès à l’internet (FAI), BOCCRF du 31/01/2003).
En revanche, dans un contrat de vente de véhicule automobile, n’a pas été jugée abusive une clause énonçant des cas spécifiques de force majeure car ces événements n’étaient exonératoires de responsabilité que « s’ils présentent le caractère de la force majeure », et qu’en outre, si effectivement la vente est impossible, les deux parties pouvaient annuler ladite vente sans mise en demeure préalable ni formalité judiciaire ( CA Grenoble, 1re chambre civile, 22 Mai 2007 – n° 05/00795).
4/ Faut-il notifier la force majeure ?
Le Code civil est muet sur ce point.
Si une partie ne peut accomplir ses obligations et s’estime confrontée à un cas de force majeure, il est évidemment recommandable qu’elle le notifie à son contractant de façon étayée.
D’une part, cela permettra à ce dernier de s’adapter et limiter son dommage.
D’autre part, en cas de litige, on peut penser qu’un juge sera moins enclin à reconnaître la force majeure si celle-ci est affichée a posteriori.
Il convient également de conserver tous les éléments de preuves notamment des informations connues au jour où la décision est prise. La crise du COVID-19 est un bon exemple d’une situation évoluant de jour en jour et il n’est pas toujours aisé de retrouver les données à une période passé.
Enfin, le contrat peut contenir une clause prévoyant une procédure spécifique imposant une obligation de notification dans un certain délai.
Si une partie envisage de recourir à la force majeure, c’est donc le moment de relire le contrat impacté sans tarder ( en ce compris les conditions générales applicables le cas échéant).
5/ Assurance et force majeure :
ou pourquoi le COVID 19 n’est (certainement) pas assurable ?
On entend souvent que la force majeure n’est pas assurable.
Il n’y a pourtant aucune exclusion de principe.
La Cour de cassation a jugé que rien n’interdit à un assureur d’assurer un risque afférent à un événement de force majeure (Civ. 1ère, 23 mai 2000, no 97-18.129). Elle a admis qu’un risque afférent à la force majeure était assurable dans le cas où une police garantissait spécifiquement le vol à main armée sans faire référence, pour cette garantie particulière, à la force majeure.
Pour les assurances de responsabilité ( c’est-à-dire les assurances couvrant la responsabilité de l’assuré à l’égard des tiers), la question ne se pose naturellement que si l’assuré a renoncé à la force majeure comme cause exonératoire (cf supra 1) puisque sinon il n’y a pas responsabilité et donc pas lieu à assurance.
Si tel est la cas, la prise en charge par l’assurance dépend de la rédaction de la police.
La Cour d’appel de Paris a pu juger que si un transporteur avait accepté de garantir son client dans toutes les circonstances, y compris en cas de force majeure, l’assurance de son côté pouvait refuser sa garantie puisque la police excluait la garantie des obligations excédant celles du droit commun de la responsabilité civile et des usages professionnels ( CA Paris, 15 octobre 1997).
Quand la force majeure a un effet exonératoire sur la partie responsable, la victime peut trouver un recours via une assurance de choses ( cas où un bien est assuré indépendamment de toute recherche de responsabilité comme par exemple assurance incendie ou assurance bris de machine).
Par exemple, suite à un vol de bijoux déposé par un joailler et exposés dans une bijouterie, celle-ci a été exonérée de responsabilité car la force majeure a été reconnue. En revanche, la police (risques d’exposition) qu’elle avait souscrite garantissant les marchandises placées sous sa garde a permis le dédommagement du joailler (CA Versailles, 18 Septembre 2007 – n° 06/01023.
On le voit bien, la force majeure n’est pas antinomique de prise en charge par l’assurance.
En réalité, c’est une question de coût de l’assurance à mettre en parallèle avec le risque encouru et donc un choix de gestion.
Alors, pourquoi est-il peu probable que la pandémie actuelle puisse permettre une mobilisation des polices s’assurance couvrant l’entreprise ( hors les cas particuliers d’assurance santé / prévoyance en cas de maladie déclarée) ?
En pratique, comme rappelé par la Fédération Française d’assurance, la quasi-totalité des contrats couvrant les entreprises (pertes d’exploitation, rupture de la chaîne d’approvisionnement, annulation d’événements, défaut de livraison, etc.) exclut l’événement d’épidémie ( FFA , fiche mise à jour le 19 mars 2020).
Trois raisons sont mises en avant :
D’abord, l’assurance repose sur les concepts de mutualisation et d’aléa.
Or, le caractère global d’une épidémie et a fortiori une pandémie exclut toute mutualisation et toute notion d’aléa.
En second lieu, les produits d’assurance actuellement sur le marché sont déclenchés par la survenance d’un dommage. Il n’existe pas actuellement de produits d’assurance perte d’exploitation sans dommages suite à épidémie ou pandémie.
Une décision de confinement général n’est pas plus un « dommage » au sens du droit des assurance qu’un événement aléatoire.
Enfin et de façon beaucoup plus prosaïque, les conséquences de la situation dépassent les capacités financières des assureurs.
Au dernier état, Monsieur Bruno Le Maire, Ministre de l’économie et des finances a annoncé que des discussions allaient être engagées avec les assureurs pour voir comment ces derniers pouvaient participer à l’effort de solidarité national ( Conférence de presse – 17 mars 2020).
6/ L’imprévision est-elle un bon succédané de la force majeure ?
La force majeure suppose l’impossibilité d’exécuter un contrat.
Quand il reste possible de poursuivre le contrat, l’exécution devenant seulement plus difficile, on peut être tenté de recourir à la notion d’imprévision introduite en droit privé depuis 2016 via l’article 1195 du Code civil.
L’imprévision s’applique en cas de « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque ».
La notion est séduisante mais n’est pas nécessairement de mise en œuvre aisée au cas présent.
Quand une partie subit la situation décrite plus haut, l’article 1195 prévoit qu’elle peut « demander une renégociation du contrat ». En cas d’échec, le juge est saisi.
Certes, on peut admettre que les possibilités de renégociation du contrat restent ouvertes même en période de confinement compte tenu des moyens de communication actuels.
En revanche, en cas d’échec, il ne sera guère possible de saisir le juge puisque les tribunaux sont fermés jusqu’à nouvel ordre.
Par ailleurs, l’article 1195 prévoit également que la partie qui invoque l’imprévision doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation. On le voit, l’imprévision n’apparaît pas comme la panacée dans un contexte où souvent des mesures d’urgence doivent être prises.
7/ Peut-on invoquer la force majeure en cas d’impossibilité de payer une dette ?
En principe non.
Encore récemment, la Cour de cassation a très nettement exprimé que « le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de ce cette obligation en invoquant un cas de force majeure » : Com. 16 sept. 2014, no 13-20.306.
Il faut donc se tourner vers d’autre mécanisme pour solliciter des délais de paiement ou remise de dette.
8/ La force majeure dans les contrats internationaux
Le concept d’une cause pouvant libérer le débiteur de ses obligations existe dans la plupart des systèmes juridiques.
Cependant, les conditions de sa mise en œuvre et ses effets diffèrent et il faut donc étudier la question au cas par cas selon le droit applicable au contrat.
Pour finir sur un instrument international, la Convention de Vienne sur la vente de marchandises (« CVIM », 11 avr. 1980) dispose en son article 79 1) : « Une partie n’est pas responsable de l’inexécution de l’une quelconque de ses obligations si elle prouve que cette inexécution est due à un empêchement indépendant de sa volonté et que l’on ne pouvait raisonnablement attendre d’elle qu’elle le prenne en considération au moment de la conclusion du contrat, qu’elle le prévienne ou le surmonte ou qu’elle en prévienne ou surmonte les conséquences ».
On ne parle donc pas de force majeure mais de cause d’exonération et les conditions d’application sont relativement plus souples que celles de l’article 1218 du Code civil.
Or, de nombreux contrats conclus par des entreprises françaises sont soumis à cette convention sans que les parties en aient véritablement conscience.
En effet, un contrat de vente internationale est régi par la CVIM dès lors que les parties sont établies dans des États contractants différents ou si les règles du droit international privé désignent la loi d’un État contractant (sachant que 93 pays à ce jour ont ratifié la CVIM).
Selon une conception jurisprudentielle dominante dans plusieurs pays (dont la France), le choix de la loi d’un État contractant inclut application de la CVIM, sauf si les parties l’ont exclu. Pour la Cour de cassation, une clause stipulant que « les relations des parties et le contrat sont soumis aux lois françaises (Laws of France) » entraîne l’application de la CVIM et non son exclusion (Cass. com., 13 sept. 2011, n° 09-70.305).
Finalement, et compte tenu de sa rédaction, l’article 79 1), la CVIM peut s’avérer une ressource intéressante si le contrat est effectivement soumis à cette convention.
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