Dans le contexte de la transition écologique et de la réduction des émissions de CO2, le secteur des véhicules électriques a pris une dimension stratégique et s’est ouvert à la concurrence mondiale, qui« apporte de l’innovation et un plus grand choix pour les consommateurs »[1].
Il est rapidement apparu déterminant que les efforts engagés par les constructeurs automobiles et leurs sous-traitants européens pour assurer la transition vers le tout-électrique, et les investissements considérables qui en résultent, ne soient pas « entravés par des distorsions du marché et une concurrence déloyale », ainsi que l’a récemment exprimé Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne.
Afin de veiller à ce que les importations soient soumises aux mêmes règles de concurrence que celles qui régissent l’industrie dans l’UE, la Commission s’est saisie de la question des importations de véhicules électriques provenant de Chine[2].
L’enquête
Après qu’elle ait été annoncée, le 13 septembre 2023, la Commission a officiellement ouvert, le 4 octobre 2023, une enquête antisubventions « d’office » (c’est-à-dire engagée de la propre initiative de la CE) sur les importations de véhicules électriques à batterie (VEB) en provenance de Chine.
L’enquête portait sur la période du 1er octobre 2022 au 30 septembre 2023, avec une analyse des tendances sur la période du 1er janvier 2020 au 30 septembre 2023. Son objet était de déterminer si les chaînes de valeur des VEB en Chine bénéficient de subventions illégales et si ces subventions causent ou menacent de causer un préjudice économique aux producteurs de VEB de l’UE, puis, une fois ces deux éléments avérés, et s’ils le sont, quelles seraient les répercussions probables des mesures sur les importateurs, les utilisateurs et les consommateurs.
Dans son communiqué de presse, la CE précisait que l’’enquête serait conclue par des mesures définitivesdans un délai maximal de 13 mois après son ouverture, mais que des droits antisubventions provisoirespourraient être institués dans un délai neuf mois au plus tard.
La mise en place de droits compensateurs provisoires
L’enquête ouverte le 4 octobre 2023 a été menée dans le respect des règles de procédure de l’UE et de l’OMC. Toutes les parties concernées, y compris les pouvoirs publics et les entreprises / exportateurs chinois, ont pu présenter leurs observations, éléments de preuve et arguments. Les conclusions détaillées de l’enquête figurent dans le règlement d’exécution, qui est publié au Journal officiel[3].
La Commission en a conclu que la chaîne de valeur des VEB en Chine bénéficiait de subventions déloyales, ce qui constituait une menace de préjudice économique pour les producteurs européens de VEB.
Le 4 juillet 2024, c’est-à-dire très exactement à l’échéance annoncée, la CE a en conséquence institué des droits compensateurs provisoires sur les importations de véhicules électriques à batterie (VEB) en provenance de Chine.
Les droits individuels provisoires applicables – qui s’ajoutent aux droits de base de 10% – ont été déterminés en fonction du degré de coopération et de transparence montrées par les a entreprises / exportateurs chinois, et ont débouché sur les droits suivants pour ce qui est des 3 producteurs chinois retenus dans l’échantillon, en l’occurrence les 3 principaux exportateurs de BEV en Europe :
- BYD : 17,4 %
- Geely : 19,9 %
- SAIC : 37,6 %
Les autres producteurs de VEB en Chine, qui ont coopéré à l’enquête mais n’ont pas été retenus dans l’échantillon, sont soumis à un droit moyen pondéré provisoire de 20,8 %. Le droit applicable aux autres sociétés n’ayant pas coopéré s’élève à 37,6 %.
Ces droits provisoires s’appliqueront à compter du 5 juillet 2024, pour une période maximale de 4 mois s’achevant par conséquent au 4 novembre 2024 (soit l’échéance du délai de 13 mois pour les mesures définitives).
La Chine n’a pas tardé à réagir
L’enquête, puis l’instauration des droits provisoires, n’ont pas manqué de susciter de vives réactions côté chinois.
Le sujet a même pris une dimension géopolitique, dans un climat assez tendu. Ainsi, dès le 13 juin 2024, le porte-parole du Ministère du Commerce chinois avait réagi dans le Quotidien du Peuple en qualifiant les décisions de la Commission Européenne de « protectionnisme flagrant », considérant qu’il s’agit de décisions politiques et non pas économiques, « allant à l’encontre du consensus récent Chine-France-Europe » et susceptible d’affecter « l’atmosphère des relations économiques et commerciales bilatérales Chine-UE ».
Depuis, le 10 juillet 2024, la Chine a annoncé l’ouverture d’une enquête visant l’Union européenne contre des « subventions » et des « obstacles à l’investissement », motivée par une plainte de la Chambre de Commerce du pays qui porte notamment sur « des produits tels que des locomotives, l’énergie photovoltaïque, l’énergie éolienne ». Il est difficile d’imaginer que cette initiative soit décorrélée de l’enquête de la CE sur les importations de véhicules électriques …
Et maintenant ?
Les États membres disposaient d’un délai de 14 jours suivant la publication des mesures provisoires au JO (donc avant le 19 juillet 2024) pour se prononcer sur les mesures provisoires, par procédure écrite et à la majorité simple, dite consultative, (sans effet juridiquement contraignant).
Les parties intéressées avaient également la possibilité de demander à être entendues par les services de la Commission dans un délai de 5 jours à compter de l’entrée en vigueur des mesures provisoires et de présenter leurs observations dans les 15 jours suivant cette entrée en vigueur. De fait, le constructeur le plus durement impacté par la fixation des droits provisoires a demandé officiellement à être entendu par la Commission européenne.
Après avoir tenu compte des observations des parties intéressées, la Commission communiquera sa proposition de mesures définitives, le cas échéant, et accordera suffisamment de temps (10 jours) aux parties intéressées pour soumettre leurs observations[4].
La Commission soumettra ensuite la décision finale au vote des États membres, vote qui aura un effet contraignant.
Les mesures éventuelles seront en vigueur pendant 5 ans et pourront être prolongées sur demande motivée et après réexamen.
[5].
[1] Selon une déclaration récente de Valdis Dombrovskis, Vice-président exécutif et Commissaire au commerce à la Commission Européenne
[2] Une partie des développements qui suivent reproduisent des formulations issues des Communiqués de presse de la Commission Européenne
[3] Le 3 juillet 2024, la Commission a publié au JO de l’UE son “Règlement d’exécution instituant un droit compensateur provisoire sur les importations de véhicules électriques à batterie neufs destinés au transport de personnes originaires de la République Populaire de Chine“.
[4] À la suite d’une demande motivée, un taux de droit calculé individuellement au stade définitif peut être appliqué à un producteur de VEB en Chine (il s’agirait en l’occurrence de l’américain Tesla). Tout autre producteur de VEB en Chine non retenu dans l’échantillon final et souhaitant que sa situation particulière soit examinée peut demander un réexamen accéléré, conformément au règlement antisubventions de base, immédiatement après l’institution des mesures définitives. Le délai pour mener un tel réexamen à terme est de 9 mois suivant la demande
[5] De plus amples informations sont disponibles sur le site web de la DG Commerce de la Commission, dans le registre public, sous le numéro AS689.