Article publié dans la revue Contrats Publics, n°216 – Janvier 2021
La garantie biennale de bon fonctionnement est d’inspiration civiliste. Son régime juridique a été progressivement précisé par la jurisprudence administrative permettant, pas à pas, de recenser les désordres couverts par cette garantie.
En droit privé, la loi n° 67-3 du 3 janvier 1967 relative aux ventes d’immeubles à construire et à l’obligation de garantie à raison des vices de construction a institué une distinction, par l’article 2270 du Code civil, entre les gros ouvrages bénéficiant d’une garantie décennale et les menus ouvrages bénéficiant d’une garantie biennale.
En 1978, cette dualité sommaire a laissé la place à une distinction plus précise entre les éléments d’équipements indissociables de l’ouvrage et les autres éléments d’équipements pour lesquels la garantie biennale renommée « garantie de bon fonctionnement » s’applique.
Cette garantie, codifiée à l’article 1792-3 du Code civil, par la loi n° 78-1 du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction, s’applique ainsi aux éléments d’équipements dissociables de l’ouvrage pour une durée minimale de deux ans à compter de sa réception.
En termes de définition, les éléments d’équipements relevant de la garantie de bon fonctionnement sont définis par la négative par rapport à ceux visés à l’article précédent. En effet, l’article 1792-2 du Code civil vise précisément les éléments d’équipements qui font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert. L’alinéa 2 dispose ainsi qu’ « un élément d’équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l’un des ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage ».
Cette définition négative des désordres couverts par la garantie biennale de bon fonctionnement a conduit le juge administratif à en préciser les contours au fil de sa jurisprudence, tantôt en se rapprochant du régime juridique appliqué en droit civil, tantôt en laissant libre cours à sa propre interprétation de cette garantie post-contractuelle.
Une garantie d’origine civiliste
Un régime juridique très proche de celui prévu en droit privé
Dès 1980, le Conseil d’État a considéré que le bris de portes en glace situées sur la façade des bâtiments constituaient des désordres qui, en raison de leur nature, pouvaient « donner lieu à la garantie sur la base des principes dont s’inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil modifiés par la loi du 3 janvier 1967 et engager au titre de la responsabilité biennale la responsabilité des entrepreneurs »(1).
Les principes ainsi applicables en matière de travaux publics s’inspirent également du régime juridique organisé par le Code civil s’agissant de la garantie biennale de bon fonctionnement. Notamment, comme le relève la doctrine, et contrairement à la garantie de parfait achèvement, tous les constructeurs ainsi que le fabricant sont tenus à la garantie biennale de bon fonctionnement(2).
À titre d’illustration, le Conseil d’État a rapidement considéré que lorsque la réception provisoire est prononcée avec réserves, le délai de garantie « court, en ce qui concerne les travaux sur lesquels portent les réserves, non pas à dater de la réception provisoire, mais à compter du jour où les travaux correspondant à ces réserves ont été exécutés ou, à défaut de constatation de l’achèvement de ces travaux, à compter de la réception définitive »(3). Ainsi, si les stipulations contractuelles ne permettent pas de faire jouer la garantie de bon fonctionnement pour les travaux ayant fait l’objet de ces réserves non levées, le maître d’ouvrage ne peut faire jouer la garantie de bon fonctionnement(4).
En revanche, la garantie peut être mise en œuvre même si le maître d’ouvrage a pris possession du bâtiment dès lors que les travaux n’étaient pas achevés à la date de cette prise de possession(5).
Le CCAG Travaux de 2009 lui-même fait référence à la jurisprudence du Conseil d’État en précisant que « Le Conseil d’Etat s’est référé aux articles 1792 et 2270 du code civil et a déclaré applicables aux marchés de travaux publics les principes dont ces dispositions s’inspirent. Les constructeurs sont présumés responsables des désordres constatés dans l’ouvrage durant le délai décennal (Entreprise Trannoy, 2 février 1973) »(6).
En outre, s’agissant de la nature de la garantie, la jurisprudence considère que la responsabilité des constructeurs doit être engagée au titre de la garantie biennale du seul fait de leur participation à la réalisation des ouvrages affectés de désordres, il s’agit donc d’une responsabilité sans faute(7). Le maître d’ouvrage a alors droit « non seulement à la réparation du préjudice résultant des désordres qui se sont manifestés pendant le délai de la garantie de bon fonctionnement, lequel a expiré le 31 juillet 1988, mais encore à celle du préjudice résultant des désordres qui se sont manifestés ultérieurement dès lors qu’ils ont la même origine »(8).
Le maintien d’une liberté d’appréciation du juge
Bien que la garantie de bon fonctionnement applicable dans les marchés publics de travaux apparaisse de prime abord comme une copie conforme de celle prévue par le Code civil, le juge administratif s’éloigne tout de même parfois du régime juridique prévu en droit privé en vertu de sa liberté d’appréciation.
Comme le relève la doctrine, « comme pour les autres garanties post-contractuelles, le juge administratif ne transpose pas mécaniquement en droit public les dispositions littérales du code civil et la jurisprudence civile subséquente (…) rien n’empêche le juge administratif de dégager des solutions originales par rapport au droit privé en ce qui concerne le champ d’application ou le régime de la garantie biennale de bon fonctionnement des constructeurs »(9).
À titre d’illustration, bien que l’article 1792-5 du Code civil prévoit expressément que la garantie de bon fonctionnement est une garantie d’ordre public – toute clause d’un contrat qui a pour objet, soit d’exclure ou de limiter la responsabilité prévue aux articles 1792, 1792-1 et 1792-2, soit d’exclure les garanties prévues aux articles 1792-3 et 1792-6 ou d’en limiter la portée, soit d’écarter ou de limiter la solidarité prévue à l’article 1792-4, est réputée non écrite – il est permis de douter, en l’absence de jurisprudence administrative rendue en la matière, que cette garantie biennale soit aussi d’ordre public en droit administratif. Il semble en effet assez fréquent de voir des marchés publics prévoyant des aménagements s’agissant des désordres couverts par la garantie de bon fonctionnement ou encore de la durée de la garantie.
De la même manière, si l’article 1792-7 du Code civil dispose que « ne sont pas considérés comme des éléments d’un ouvrage, au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4, les éléments d’équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage », la doctrine a pu relever qu’un jugement récent du tribunal administratif de Nantes, et non contredit sur ce point par la cour administrative de Nantes(10), a considéré que « toutes les catégories d’éléments d’équipements dissociables de l’ouvrage étaient susceptibles d’engager les responsabilités post-contractuelles des constructeurs dès lors, en l’occurrence dans cette affaire, que les dommages sur venus sur ces éléments rendaient l’ouvrage impropre à sa destination (TA Nantes 24 juillet 2018, Commune de Machecoul-Saint-Même, req. n° 1600080, BJCP 2019, n° 13, concl. A. Franck) »(11). Il semble donc que les éléments d’équipement qui ont pour fonction exclusive de permettre l’exercice d’une activité professionnelle ne sont pas exclus de la garantie de bon fonctionnement en droit public.
La cour administrative de Douai avait néanmoins jugé l’inverse à propos de la garantie décennale : « Considérant qu’il résulte des principes dont s’inspirent lesdites dispositions que si la garantie décennale des constructeurs peut être recherchée à raison des dommages affectant des éléments d’équipement dissociables de l’ouvrage objet du marché et qui seraient de nature à rendre celui-ci impropre à sa destination, doivent être exclus du champ d’application de cette garantie les éléments d’équipement dont la fonction exclusive est de permettre, comme en l’espèce s’agissant des autoclaves en cause, l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage »(12).
La notion de bon ou mauvais fonctionnement
Un désordre affectant un élément d’équipement
Le champ d’application de la garantie de bon fonctionnement n’est pas toujours évident à délimiter dès lors qu’elle a vocation à s’appliquer aux seuls éléments d’équipements dissociables de l’ouvrage(13), sachant que « constitue un élément d’équipement l’élément dont la dépose, le démontage ou le remplacement peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage »(14).
Déjà en 1967, la notion de « menus ouvrages » pouvait faire l’objet de différentes interprétations et le décret n° 67-116 du 22 décembre 1967 portant application de la loi n° 67-3 du 3 janvier 1967, modifiée par la loi n° 67-547 du 7 juillet 1967, relative aux ventes d’immeubles à construire et à l’obligation de garantie à raison des vices de construction, les définissait comme « les éléments du bâtiment autres que les gros ouvrages, façonnés, fabriqués ou installés par l’entrepreneur e. Ils comprenaient notamment « les canalisations, radiateurs, tuyauteries, conduites, gaines et revêtements de toutes sortes autres que ceux constituant de gros ouvrages ; les éléments mobiles nécessaires au clos et au couvert tels que portes, fenêtres, persiennes et volets ».
Aujourd’hui, un rapide tour d’horizon de la jurisprudence administrative rendue en la matière permet de recenser un certain nombre d’éléments d’équipements pour lesquels la garantie de bon fonctionnement s’applique : la motorisation des stores(15), l’absence de clipsage des dalles du faux-plafond(16), les décollements des dalles(17), la peinture anti-fluage(18), les enduits et revêtements de peinture(19), les carrelages(20), l’électrovanne de contrôle d’une piscine(21), le tableau électrique « basse terre » d’un centre hospitalier(22), l’installation d’un chauffage de piscine(23), le jeu d’orgues de sonorisation et d’éclairage d’un Palais de congrès(24), les vitrages isolants d’un pavillon d’hôpital(25), les panneaux de revêtement plastique des murs d’un hôpital(26), ou encore les portes en glace d’un bâtiment(27).
En revanche, la jurisprudence relève qu’il n’est pas possible de se prévaloir de la garantie de bon fonctionnement pour des éléments d’équipement dont le requérant déplore l’absence(28). De la même manière, la garantie de bon fonctionnement ne peut concerner des désordres apparents au jour de la réception(29).
En outre, il a été jugé que le système de chauffage-ventilation-climatisation était un élément d’équipement indissociable de l’ouvrage dont les désordres ne pouvaient relever de la seule garantie de bon fonctionnement(30) ; une erreur de conception dans le choix de luminaires défectueux ne relève pas non plus de la garantie de bon fonctionnement car il ne s’agit pas d’un fonctionnement défectueux des appareils mais d’un mauvais choix des luminaires imputable au maître d’œuvre(31).
À titre de comparaison, le juge judiciaire retient comme éléments d’équipement relevant de la garantie prévue à l’article 1792-3 du Code civil : une pompe à chaleur, une chaudière à bois, une ventilation mécanique, un plafond suspendu. À l’inverse, il exclut de la garantie biennale la peinture dans la mesure où elle n’est pas un élément d’équipement, les enduits de façade, les dallages, les éléments d’équipement dissociables seulement adjoints à un ouvrage existant, des désordres de moquettes et de tissus tendus(32).
Un désordre rendant l’élément impropre à sa destination
La garantie biennale de bon fonctionnement est à distinguer de la garantie décennale, laquelle couvre les désordres qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination(33).
La jurisprudence est venue préciser cette distinction : la garantie décennale couvre les désordres de nature à rendre un ouvrage impropre à sa destination dans son ensemble et la garantie biennale couvre les désordres affectant uniquement des éléments d’équipement et de nature également à les rendre impropres à leur destination(34).
Si les moyens tirés de la garantie de bon fonctionnement d’une part et de la garantie décennale d’autre part relèvent de deux causes juridiques distinctes(35), lorsque des désordres affectant des éléments d’équipement sont, par leur importance, de nature à rendre l’ouvrage impropre à sa destination, ils sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’entrepreneur au titre de la garantie décennale alors même que ces éléments seraient dissociables de l’ouvrage et relèveraient par ailleurs de la garantie de bon fonctionnement(36).
Toutefois, aucun degré de gravité n’est demandé pour appliquer la garantie de bon fonctionnement. Le simple « mauvais fonctionnement » de l’élément d’équipement suffit(37).
Le juge administratif a eu l’occasion de préciser que les désordres affectant les revêtements de peinture des plafonds des pièces d’un immeuble d’habitation sont couverts par la garantie de bon fonctionnement d’une durée de deux ans prévue par les principes dont s’inspire l’article 1792-3 du Code civil, et ce quelle que soit leur gravité, à la seule condition qu’ils aient commencé à apparaitre dans le délai de cette garantie(38).
À titre d’illustration, la circonstance alléguée selon laquelle la superficie des désordres relatifs à des enduits et revêtements de peinture se limiterait à quelques mètres carrés n’est pas de nature à exonérer les constructeurs de leur responsabilité engagée au titre de la garantie de bon fonctionnement qui ne nécessite, à la différence de la garantie décennale, aucun caractère généralisé des désordres(39).
Pour conclure, il apparait que cette garantie « coincée » entre celle de parfait achèvement et de la garantie décennale peut présenter à certains égards un caractère résiduel ; elle fait néanmoins peser une présomption de responsabilité sur les constructeurs et constitue donc une garantie supplémentaire au profit du maître d’ouvrage que le juge administratif ne manque pas de continuer à accorder.
À cet égard, s’il peut parfois procéder à une interprétation stricte de la garantie de bon fonctionnement, nécessitant un désordre lié à un dysfonctionnement de l’élément d’équipement(40), le juge administratif semble en revanche faire preuve très souvent de pragmatisme afin de faire jouer la garantie décennale même lorsque les désordres relèvent par ailleurs de la garantie de bon fonctionnement(41).
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Notes de bas de page
(1) CE 17 décembre 1980, Ministère des Universités c/ Sloan et autres, req. req. n° 13942.
(2) Ph. Terneyre, Droit des Marchés publics, VI.310 – La garantie biennale de bon fonctionnement des constructions, janvier 2019.
(3) CE 21 février 1986, Société Peinture et reconstruction, req. n° 34635.
(4) CAA Lyon 10 novembre 2016, req. n° 15LY00365.
(5) CAA Douai 29 décembre 2005, req. n° 04DA00439.
(6) Arrêté du 8 septembre 2009 (NOR : ECEM0916617A) portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux.
(7) O. Caron, A. Labetoule, « Garanties des constructeurs », fasc. 1350, Juris-Classeur Collectivités territoriales, 1er juillet 2020.
(8) CAA Nantes 6 décembre 1995, req. req. n° 93NT00674.
(9) Ph. Terneyre, « La garantie biennale de fonctionnement des constructions », Droit des marchés publics, VI.310, janvier 2019.
(10) CAA Nantes 13 février 2020, req. req. n° 18NT03596.
(11) Ph. Terneyre, « La garantie biennale de fonctionnement des constructions », Droit des marchés publics, VI.310, janvier 2019.
(12) CAA Douai 3 mars 2010, Centre hospitalier universitaire de Rouen, req. req. n° 09DA00616.
(13) TA Nantes 16 mars 2016, req. req. n° 1309356. (14) TA Lille 22 avril 2016, req. req. n° 102056.
(15) CAA Paris 18 novembre 2016, req. n° 14PA00804.
(16) TA Rennes 9 avril 2015, req. n° 1102069.
(17) TA Rennes 27 mars 2014, req. n° 1004109.
(18) TA Lyon 26 septembre 2014, req. n° 1403582.
(19) CAA Marseille 13 mars 2006, req. n° 03MA00147.
(20) CAA Douai 27 décembre 2004, req. n° 02DA00517.
(21) CAA Nantes 2 août 2000, Cne Saint-Jean-de-la-Ruelle, req. n° 97NT00456.
(22) CE 14 mai 1990, req. n° 80614.
(23) CAA Bordeaux 5 juillet 1990, req. n° 89BX01313.
(24) CAA Nantes 15 novembre 1990, Société Siemenphone, req. n° 89NT0266.
(25) TA Strasbourg 11 septembre 1987, CHR de Metz-Thionville. (26) CE 21 février 1986, req. n° 34635.
(27) CE 17 décembre 1980, req. n° 13942.
(28) CAA Marseille 18 avril 2016, req. n° 15MA02792.
(29) CAA Douai 12 novembre 2020, req. n° 17DA02254. (30) TA Pau 2 juin 2016, req. n° 1500564.
(31) CAA Versailles 17 janvier 2011, req. n° 0VE03107.
(32) H. Périnet Marquet, « Synthèse – Responsabilité des constructeurs », JurisClasseur Construction – Urbanisme, 1 er octobre 2019.
(33) C. civ., art. 1792.
(34) CAA Lyon 16 septembre 1999, Commune de Mison, req. n° 95LY00221.
(35) CE 14 février 2001, Société Groupama Bretagne, req. n° 202179.
(36) TA Nîmes 21 janvier 2016, req. n° 1303495, CAA Paris 24 janvier 2002, Julien et Cts Saubot, CAA Paris 23 avril 1992, Société d’assurance La Commerciale Union et SA Cofreth, req. n° 90PA00887.
(37) CE 14 mai 1990, Société CGEE Alsthom, req. n° 80614.
(38) CAA Nantes 6 décembre 1995, OPHLM D’Ille-et-Vilaine, req. n° 93NT00674.
(39) CAA Marseille 13 mars 2006, req. n° 03MA00147. (40) CAA Bordeaux 6 juin 2019, req. n° 17BX00415.
(41) TA Nîmes 2 janvier 2016, req. n° 1303495.