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Lettre d'information - Le Radar n°1
Distribution automobile – Focus sur deux arrêts récents de la Cour d’appel de Paris
30/07/2024

Dans un contentieux aujourd’hui moins abondant qu’il ne l’a été, notre attention a été attirée par deux arrêts récents de la Cour d’appel de Paris, le premier concernant le refus d’agrément[1], le second la rupture du contrat de distribution[2].

Refus d’agrément – Suite au rachat d’Opel par PSA en 2017, Opel France avait résilié, avec préavis de 2 ans, l’ensemble des contrats de concession Opel en cours. L’un des concessionnaires résiliés, la société M., a assigné Opel France et soulevé sa responsabilité contractuelle en réparation du préjudice causé par l’impossibilité pour M. de céder son fonds de commerce compte tenu du refus exprimé par Opel France d’agréer le repreneur que M. avait présenté à Opel France pour lui succéder au sein du réseau. Le litige porte sur la bonne foi dont a, ou n’a pas, fait preuve Opel France en refusant d’agréer ce candidat, et en privilégiant la candidature d’un autre opérateur qui, pour sa part, n’avait pu trouver d’accord avec M. pour la reprise du fonds de commerce. Autrement dit, Opel France a donné la priorité à une candidature A sur une candidature B, alors que seule la candidature B permettait au concessionnaire sortant de céder son fonds de commerce.

Procédant à un examen détaillé des échanges de mails entre les parties, et confirmant le jugement du Tribunal de commerce de Paris, la Cour juge fautive l’attitude d’Opel France pour avoir maintenu « l’exclusivité d’agrément » au candidat B alors « qu’il devenait de plus en plus probable » que ce candidat ne trouverait pas d’accord avec le concessionnaire sortant, ceci alors même que le concédant avait fait preuve de « plus de flexibilité » à l’occasion de situations comparables au sein du réseau. Du fait de la faute ainsi commise, Opel France « a fait perdre toute valeur au fonds de commerce » du concessionnaire sortant. La Cour n’écarte pas le principe de liberté contractuelle, qu’invoquait principalement Opel France comme le font systématiquement les constructeurs dans ce type de contentieux, mais juge que le contrat n’a pas été exécuté de bonne foi et que la responsabilité du concédant est engagée.

La Cour entre ensuite en voie d’indemnisation, et condamne Opel France au titre de la perte de chance, pour M., de céder son fonds de commerce (évaluée à 80% de la valeur estimée du fonds), outre une indemnisation au titre des loyers réglés inutilement par le concessionnaire.

Par cet arrêt, tout en réaffirmant le principe selon lequel le concédant n’a pas d’obligation d’assister le concessionnaire sortant dans sa reconversion, la Cour d’appel de Paris semble ouvrir la voie à l’obligation qu’aurait le concédant de protéger la valeur du fonds de commerce du distributeur dont il résilie le contrat.

Rupture du contrat de distribution – Dans cette affaire, qui intervient dans le secteur des produits cosmétiques, la Cour d’appel de Paris était principalement saisie au fondement de la brutalité de la rupture de relations commerciales établies qu’entretenaient le fabricant Mary Cohr et son distributeur iranien, la société JKGM. 

Toutefois, cette décision retient l’attention et se démarque du contentieux habituel de la rupture brutale pour deux raisons.

D’une part, cette affaire est l’occasion pour la Cour d’affiner la qualification des « circonstances de la rupture », autres que l’ancienneté de la relation, que le juge doit prendre en considération pour évaluer le préavis suffisant et le confronter au préavis effectif accordé. La Cour rappelle d’abord que ces (autres) « circonstances » sont, selon un ordre d’énoncé qui n’est pas anodin, « le degré de dépendance économique, le volume d’affaires réalisé, la progression du chiffre d’affaires, les investissements effectués, les relations d’exclusivité et la spécificité des produits ou services en cause ». Mais elle y ajoute, au cas d’espèce, le « dynamisme du marché des cosmétiques, particulièrement au Moyen-Orient, notamment en Iran », s’agissant ici d’un critère dont l’application débouche sur un préavis dû plus court, puisque le dynamisme du marché facilitait la reconversion de la partie évincée.

D’autre part, et il s’agit alors du point qui intéresse tout particulièrement le secteur automobile, la Cour n’a pas seulement examiné quel aurait dû être le préavis accordé, mais elle s’est aussi intéressée au caractère effectif de ce préavis, soit une problématique beaucoup plus rarement soulevée que la durée du préavis. Et c’est à cet égard que l’arrêt mérite d’être relevé, puisque la Cour juge qu’en ayant fait savoir au distributeur que la dernière commande devrait être passée à une certaine échéance, tombant en l’occurrence 6 mois avant le terme du préavis, Mary Cohr a « partiellement réduit l’effectivité de ce préavis », ceci indépendamment de l’appréciation du stock dont disposait le distributeur au moment de l’interruption. Cette réduction de l’effectivité du préavis vient alors se combiner avec l’insuffisance même de la durée du préavis accordé, et le fournisseur est condamné à indemniser le distributeur.

Cette décision semble marquer une inflexion de la solution qui était jusque-là retenue par la Cour de cassation à cet égard, selon laquelle le fournisseur pouvait interrompre les prises de commande avant le terme du préavis si le distributeur disposait de stocks suffisants au moment de la réduction ou de la diminution des commandes[3]

Les constructeurs et importateurs automobiles doivent redoubler de prudence dans la gestion du préavis du concessionnaire résilié, tant il est vrai que la pratique du secteur offre de nombreux exemples d’atteinte à l’effectivité du préavis via une diminution, voire un arrêt anticipé, des commandes en cours de préavis.


[1] CA Paris, 5/4, 24 avril 2024, n°22/06051, Opel France c. Mény Nancy

[2] CA Paris, 5/4, 24 avril 2024, n°21/17799, Mary Cohr c. Jahan Kala Gostar

Olivier Gauclère
Avocat Counsel
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