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Lettre d’information
Lettre d’information BTP n° 6 – Mai-Juin 2018
25/06/2018

EDITORIAL 

La sécurité avant tout !

Outre des décisions de justice qui confirment ou apportent des précisions bien utiles pour la passation des marchés et sur la responsabilité des constructeurs, les hasards de l’actualité ont voulu qu’un acteur particulier du chantier soit au centre de l’attention ces deux derniers mois, le coordonnateur SPS.

L’occasion pour les juges, civils ou administratifs, de rappeler que le recrutement de ce professionnel est strictement encadré par le code du travail et non le Code civil, mais que les règles de responsabilité restent le droit commun, et que la sécurité est l’affaire de tous. 

Autre sanction de la responsabilité, les pénalités font aussi l’actualité. L’occasion également pour les juges de préciser de manière très utile et pragmatique que toutes les situations, même prévues contractuellement, ne permettent pas nécessairement l’application de pénalités, mais également de confirmer que dès lors qu’elles sont justifiées dans leur principe et dans leur montant, les pénalités ne feront pas l’objet d’une correction par le juge. Une autre forme de sécurité…

Philippe NUGUE

I.1 OBLIGATION D’ALLOTISSEMENT

CE 25 mai 2018, n° 417428 

Le juge des référés précontractuels exerce un contrôle normal sur le choix de ne pas allotir, mais seulement un contrôle restreint sur la définition du nombre et de la consistance des lots.

L’acheteur public a l’obligation d’allotir un marché public.

S’il décide de ne pas allotir, il doit le justifier par :

  • Son incapacité à assurer lui-même le pilotage, l’organisation et la coordination,
  • La restriction de la concurrence que l’allotissement provoquerait,
  • Les difficultés techniques ou le surcoût qui résulteraient de l’allotissement.

Ceci s’applique bien sûr aux marchés de travaux.

En l’espèce, un OPH s’était borné à une division du marché d’entretien courant et de remise en état des logements de tout son patrimoine en seulement neufs lots géographiques en motivant ce choix par la volonté de :

  • réduire les délais d’exécution, 
  • permettre une meilleure coordination des intervenants,
  • éviter la reproduction des difficultés auxquelles il avait été confronté lors de l’exécution d’un précédent marché ayant le même objet,qui avait été divisé, dans le cadre d’un allotissement à la fois géographique et fonctionnel, en quatre-vingt-dix-sept lots.

Le Conseil d’Etat a estimé que le choix de l’OPH n’est pas entaché, dans les circonstances de l’espèce, d’erreur manifeste d’appréciation.

I.2 – APPRÉCIATION DES CRITÈRES SOCIAUX – LIEN AVEC LE MARCHÉ

CE, 25 mars 2018, Nantes Métropole, n° 417580

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat vient rappeler le régime général applicable aux critères de sélection des offres dans les marchés publics et plus spécifiquement aux critères sociaux (critère du « mieux-disant social »). 

En l’espèce, le pouvoir adjudicateur avait inclus dans le règlement de la consultation un critère généraliste intitulé « performance en matière de responsabilité sociale » des candidats. Le juge sanctionne l’administration en estimant que ce critère n’est pas lié à l’objet du marché ou à ses conditions d’exécution, conformément aux dispositions de l’article 62 du décret du 25 mars 2016.

En effet, les critères sociaux ne visent pas à discriminer les candidats mais à les inciter à promouvoir l’emploi des personnes en difficulté, sans égard pour leur objet social. Or, il ressort de l’analyse que le critère choisi par le pouvoir adjudicateur porte sur l’ensemble de leur activité et a pour objectif d’évaluer leur politique générale en matière sociale, sans s’attacher aux éléments caractérisant le processus spécifique de réalisation des travaux d’impression prévus par le contrat.

Cette décision marque une évolution discrète du juge administratif qui semblait, sous l’empire de l’ancien Code des marchés publics, écarter l’exigence d’un lien entre le critère social et l’objet du marché (CE, 25 mars 2013, Département de l’Isère, n° 364950, Lebon p. 56).

I.3 COORDONNATEUR SPS : ATTENTION À NE PAS CUMULER 

Civ. 3e, 12 avr. 2018, FS-P+B, n° 16-17.769 

Le coordonnateur « SPS » (sécurité et protection de la santé) a une mission qui ne se rapporte pas directement à l’ouvrage mais à ses différents intervenants, plus particulièrement à tous les personnels qui interviennent sur le chantier. Il est chargé de veiller à la sécurité des travailleurs et à la protection de leur santé, en organisant leurs conditions d’interventions et en coordonnant les présences respectives des uns et des autres spécialistes y compris au besoin en recrutant des interprètes sur les chantiers publics lorsque des langues étrangères y sont parlées. 

En droit, l’originalité du statut du SPS tient à ce qu’il est organisé par le code du travail.

Sauf dans les cas d’opérations de bâtiment ou de génie civil entreprises par un particulier ou ses proches pour leur usage personnel, (art. L. 4532-7 c. trav) pour lesquelles l’architecte chargé de l’obtention du permis de construire peut cumuler la mission SPS, le coordonnateur SPS doit être strictement distinct des autres intervenants.

La Cour de cassation a donc censuré par la nullité d’un contrat, l’opération (construction de 3 immeubles pour 3 maîtres d’ouvrages) qui confiait  l’assistance au maître d’ouvrage, la maîtrise d’ouvrage déléguée, la maîtrise d’œuvre, la recherche de clientèle et des marchés de travaux et la coordination en matière de sécurité et de protection de la santé au même intervenant.

Les maîtres d’ouvrage avaient en outre constitué une SCI dédiée à l’opération, désignant le promoteur en qualité de gérant de cette société. Après sa démission, la SCI a assigné le gérant promoteur en vue notamment d’obtenir un remboursement d’honoraires prétendument indus.

La Cour de cassation fait droit à la demande de la SCI, jugeant que l’interdiction édictée par le code du travail vise le coordonnateur personne physique, sans distinguer selon qu’il exerce en son nom personnel ou au nom de la personne morale qu’il est chargé « de gérer, d’administrer ou de représenter ».

En application de l’article R. 4532-19 du code du travail, la personne physique qui exerce la fonction de coordonnateur ne peut être chargée d’une autre fonction lors de la même opération, ni en son nom personnel, ni au nom de la personne morale qu’elle est chargée de gérer, d’administrer ou de représenter.

II – EXÉCUTION

II. 1 PÉNALITÉS – PAS POUR TOUT !

CAA Lyon 26 avril 2018, n° 16LY00136 

Marché de maîtrise d’œuvre : pas de pénalités liées au dépassement du budget prévisionnel  en phase ACT

S’il est un exercice difficile pour les maîtres d’œuvre, c’est bien de savoir à quel montant les entreprises vont établir leurs offres, question de conjoncture, souvent variable, qui entraîne des écarts d’appréciation, entraînant surestimation ou sous-estimation.

Au cas particulier, le contrat du maître d’œuvre prévoyait que :

“l’écart entre le montant des offres des entreprises retenues et le montant du coût prévisionnel des travaux ne peut être supérieur à 4 %”

et que “si l’écart entre le montant des offres des entreprises mieux-disanteset le coût prévisionnel des travaux ne peut être ramené dans le cadre de la tolérance par une nouvelle consultation des entreprises, tout en respectant le programme initial, le maître d’ouvrage peut décider de la poursuite du projet en acceptant le montant des offres des entreprises. Dans ce cas, le maître d’œuvre se verra appliquer une pénalité égale à 20 % de l’écart entre le montant des offres des entreprises mieux-disanteset le coût prévisionnel des travaux actualisé plafonné à 15 % des éléments de mission exécutés hors indemnité de concours.”. 

La Cour administrative d’appel, comme le tribunal administratif, écarte cette stipulation en se fondant sur les seules dispositions de l’article 30 du décret d’application de la loi MOP du 29 novembre 1993, selon lesquelles des décrets en Conseil d’Etat fixent : “3° Les conditions selon lesquelles les parties déterminent la rémunération prévue à l’article 9 et précisent les conséquences de la méconnaissance par le maître d’œuvre des engagements souscrits sur un coût prévisionnel des travaux.”. 

La Cour en déduit qu’en cas de dépassement au stade ACT (assistance passation des contrats de travaux) du montant prévisionnel, il n’y a pas lieu comme au stade AOR (lorsque le coût des travaux effectués excède le coût prévisionnel) de réduire la rémunération en infligeant pénalité. 

Au stade ACT, le décret de 1993 ne prévoit que la possibilité de faire reprendre des études sans rémunération (sans oublier le pouvoir général de résiliation). 

Précision importante, la Cour juge également qu’une telle pénalité ne peut pas non plus être considérée comme une “clause d’incitation à de meilleurs résultats quantitatifs ou qualitatifs” au sens du même article 30. 

II.2 PÉNALITÉS : COMBIEN ?

CAA Paris N° 17PA01124 – 2018-06-08

En principe, et selon une jurisprudence qui a longtemps été strictement limitée à ce principe, les pénalités de retard prévues par les clauses d’un marché public ont pour objet de réparer forfaitairement le préjudice qu’est susceptible de causer au pouvoir adjudicateur le non-respect, par le titulaire du marché, des délais d’exécution contractuellement prévus. Elles sont applicables au seul motif qu’un retard dans l’exécution du marché est constaté et alors même que le pouvoir adjudicateur n’aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge du titulaire du marché qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi. 

Mais on sait que depuis une décision de 2008, (CE, 29 décembre 2008, n°296930) le juge administratif peut procéder à la modulation du montant des pénalités de retard infligées à une entreprise si elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché et compte tenu de l’ampleur du retard constaté dans l’exécution des prestations. 

En l’espèce, il ressort du décompte général que le montant du marché s’élève à 1 061 108,31 euros HT (1 062 775,81 + 7 943,10 – 9 610,60). Les pénalités, d’un montant de 150 646,93 euros HT, représentent donc 14,2 % du montant du marché. Dans ces conditions, et compte tenu, également, du retard très important pris dans l’exécution des travaux (319 jours de retard pour un délai initialement prévu de 168 jours), le titulaire n’est pas fondé à soutenir que ces pénalités ont atteint un montant manifestement excessif. Il n’y a donc pas lieu d’en modérer le montant. 

III – RESPONSABILITÉ

III.1. RESPONSABILITÉ EN CAS D’ACCIDENT SUR UN CHANTIER

CAA de NANTES 16 mars 2018, n° 16NT01799

En cas d’accident sur un chantier, le maître d’ouvrage peut être responsable pour ne pas avoir  désigné un coordonnateur SPS ; encore faut-il un lien causalité…

Une compagnie d’assurances demande réparation à une commune des indemnités qu’elle a versées à la victime qui participait à une opération de travaux publics.

L’assureur doit pour cela établir que la commune a commis une faute, ainsi que l’existence d’un lien de causalité entre cette faute et le dommage.

La décision retient que la commune a effectivement commis une faute en s’abstenant de désigner, comme elle en avait l’obligation (art. R. 4532-2 du code du travail) un coordonnateur SPS.

Mais la Cour d’appel retient également que l’enquête pénale établit que l’accident est survenu alors que trois salariés d’une société ont laissé échapper une poutre en métal de 250 kgsqui est venue heurter la victime, employée d’une autre entreprise. 

Pour les juges :

  • l’accident résulte directement de l’imprudence et du défaut de vigilance de ces salariés, qui n’ont pas pris de précaution suffisante pour réaliser en toute sécurité une opération qui ne présentait pas de difficulté particulière et avait du reste déjà été pratiquée à plusieurs reprises ;
  • la victime aurait également pu prendre l’initiative de s’écarter du chantier, le fait même qu’elle indique ne pas s’être rendu compte de la manœuvre en cours à moins de 5 mètres révélant également un manque de vigilance de sa part ;
  • si un coordonnateur SPS avait été nommé, rien n’indique qu’il aurait nécessairement interdit tout travail simultané des salariés des deux entreprises. alors que le déplacement et la mise en place des poutres ne présentaient pas des risques tels que des précautions élémentaires ne pouvaient les pallier.

Par suite, la Cour juge (comme le tribunal administratif) que l’existence d’un lien de causalité direct et certain entre la faute commise par le maître d’ouvrage en ne désignant pas un coordonnateur SPS et l’accident n’est pas établie.

III.2 UN DÉSORDRE FUTUR PEUT-IL ÊTRE DE NATURE DÉCENNALE S’IL EST INÉLUCTABLE

CE 15 juin 2018, n° 417595

Le Conseil d’Etat vient de rappeler les principes régissant la garantie décennale des constructeurs.

Pour engager la responsabilité décennale, un désordre doit être de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination.

Il doit en outre apparaître dans un délai de dix ans à compter de la réception.

Néanmoins, le désordre apparu dans ce délai de dix ans, qui n’est pas de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination, peut toutefois être considéré de nature décennale si dans un délai prévisible il est établi qu’il remplira ces conditions relatives à la solidité et à l’impropriété à destination. 

En l’espèce, le désordre était constitué par un important phénomène d’oxydation affectant une charpente métallique de la casquette et des auvents d’une piscine. 

Les premiers juges ont pu retenir le caractère décennal du désordre, dès lors que le processus d’aggravation était inéluctable, sans avoir besoin de préciser le délai prévisible dans lequel ces désordres seraient de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination.

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