L’actualité législative et réglementaire du secteur de l’énergie est dense et nous souhaitons vous accompagner dans son décryptage pour en comprendre les enjeux ainsi que les risques associés.
Notre équipe vous propose donc une brève d’actualité et se tient à votre disposition pour répondre à vos questions.
Ce premier numéro porte sur la décision QPC du Conseil constitutionnel n° 2019-799 du 19 avril 2019, particulièrement importante à nos yeux.
Bonne lecture….
La récente décision du Conseil constitutionnel du 19 avril 2019 constitue un nouvel épisode contentieux qui oppose les fournisseurs d’électricité et de gaz naturel aux gestionnaires de réseaux de distribution (GRD), relatif à la détermination de la rémunération des prestations de gestion de clientèle que ces fournisseurs effectuent pour le compte des gestionnaires de réseau lorsque les consommateurs finals souscrivent un contrat dit « unique ».
Elle nous offre l’occasion de revenir sur un dispositif qui, introduit pour simplifier les démarches des consommateurs finaux, oppose les fournisseurs et les GRD depuis 2012.
Les contrats « uniques ». Depuis la dissociation des activités de fourniture d’électricité et de gestion des réseaux, un consommateur final d’électricité, qu’il soit particulier ou professionnel, doit en principe conclure deux contrats : un contrat d’accès au réseau avec le gestionnaire de celui-ci et un contrat d’achat d’énergie avec un fournisseur.
Pour éviter que cette nouvelle source de complexité décourage les consommateurs de souscrire une offre de marché[1], le législateur a créé le mécanisme du « contrat unique » qui combine les prestations de fourniture et de distribution d’électricité[2].
En effet, lorsque le consommateur final souscrit un « contrat unique » avec son fournisseur, il entre automatiquement dans une relation contractuelle directe avec le distributeur pour les prestations d’acheminement :
– le consommateur habilite le fournisseur à le représenter auprès du GRD et notamment à souscrire pour son compte un contrat d’accès au réseau ;
– et le GRD habilite le fournisseur à la représenter auprès du consommateur final.
Les relations entre les GRD et les fournisseurs sont régies par des contrats dénommés « GRD-F Fournisseurs »[3], qui sont soumis à la validation de la Commission de régulation de l’énergie (CRE).
La question de la rémunération des fournisseurs. Initialement, ces contrats GRD-F Fournisseurs ne prévoyaient aucune rémunération des fournisseurs au titre des prestations de gestion de clientèle qu’ils effectuent, pour le compte des GRD, dans le cadre des contrats uniques.
Ces frais correspondent notamment à la facturation du tarif d’utilisation des réseaux publics au client final, à l’encaissement des sommes dues par le client, à la relance et au recouvrement en cas d’impayés ainsi qu’à la gestion de la relation client.
Pour régler un différend entre ENEDIS et la société Direct Energie, la CRE avait de façon transitoire, par deux délibérations du 26 juillet 2012[4]et du 3 mai 2016[5], admis que certains fournisseurs bénéficient d’une rémunération complémentaire.
La décision du Conseil d’Etat du 13 juillet 2016. A la suite d’un recours contre la délibération du 26 juillet 2012, le Conseil d’Etat a, par un arrêt du 13 juillet 2016[6], posé en principe que :
« les stipulations des contrats conclus entre le gestionnaire de réseau et les fournisseurs d’électricité ne doivent pas laisser à la charge de ces derniers les coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau».
En conséquence, il a annulé la délibération au double motif qu’elle n’admettait qu’une rémunération transitoire de ces prestations, et qu’elle en réservait le bénéfice à certains fournisseurs.
Prenant acte de cette décision, la CRE a adopté, le 26 octobre 2017, de nouvelles délibérations[7]. Ces dernières avaient pour objet d’encadrer d’une part le montant de la rémunération versée par les GRD aux fournisseurs pour 2017 et, de modifier en conséquence le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (« TURPE ») perçu pour les GRD à compter de 2018.
La Loi « Hydrocarbures » du 30 décembre 2017.Afin d’encadrer légalement ce nouveau dispositif, la loi n°2017-1839 du 30 décembre 2017 dite « loi hydrocarbures »a :
– D’une part, modifié l’article L. 341-4-3 du code de l’énergie relatif au contrat unique afin d’y inscrire désormais que les prestations effectuées par les fournisseurs « peuvent donner lieu à une rémunération, dont les éléments et le montant sont fixés par la Commission de régulation de l’énergie »[8] ;
– Et d’autre part, procédé à une validation des conventions antérieurement souscrites par les GRD et les fournisseurs sans prévoir que ceux-ci bénéficient d’une telle rémunération.
Cette validation, visant à mettre un terme ou à prévenir les litiges indemnitaires engagés ou susceptibles de l’être sur le fondement de la décision du Conseil d’État de 2016, y est exprimée en ces termes[9] :
« II.-Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les conventions relatives à l’accès aux réseaux conclues entre les gestionnaires de réseaux de distribution mentionnés à l’article L. 111-52 du code de l’énergie et les fournisseurs d’électricité, en tant qu’elles seraient contestées par le moyen tiré de ce qu’elles imposent aux fournisseurs la gestion de clientèle pour le compte des gestionnaires de réseaux ou laissent à la charge des fournisseurs tout ou partie des coûts supportés par eux pour la gestion de clientèle effectuée pour le compte des gestionnaires de réseaux antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente loi. »
La décision du Conseil constitutionnel du 19 avril 2019.Cette disposition a fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Engie[10], à laquelle le Conseil constitutionnel a récemment répondu par une décision du 19 avril 2019[11]en examinant si les critères qui conditionnent la constitutionnalité des lois de validation étaient, en l’espèce, bien réunis.
Ces conditions cumulatives sont au nombre de trois :
– la non-immixtion dans l’exercice du pouvoir juridictionnel par le respect des décisions de justice devenues définitives ;
– le respect du principe de non-rétroactivité de la loi en matière pénale ;
– et l’existence d’un motif d’intérêt général.
L’intérêt de la décision QPC du 19 avril 2019 réside en ce que le Conseil constitutionnel y admet qu’un motif financier peut constituer un motif d’intérêt général.
Après avoir observé que, « en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu prévenir les conséquences financières pour les gestionnaires de réseaux et, indirectement, les consommateurs, susceptibles de résulter du remboursement des frais de gestion de clientèle mis à la charge des fournisseurs d’électricité», et souligné l’incertitude inhérente au montant exact de ce risque financier global ainsi que son impact sur les prix payés par les consommateurs finaux, il a ainsi considéré que :
« eu égard aux conséquences financières susceptibles de résulter des litiges visés par la validation et à leur répercussion sur le coût de l’électricité acquitté par l’ensemble des consommateurs, l’atteinte portée par les dispositions contestées aux droits des fournisseurs d’électricité ayant conclu les conventions validées est justifiée par un motif impérieux d’intérêt général ».
Quelques jours avant la parution de cette décision, le rapport parlementaire sur l’application de la loi Hydrocarbures[12]avait d’ailleurs tenté de chiffrer ce risque financier en indiquant que les conséquences d’une annulation de ces dispositions auraient pu « […] être considérables pour Enedis et pour les principales entreprises locales de distribution, puisqu’elles pourraient être d’environ 9,6 milliards d’euros (et de 3 milliards d’euros dans le domaine du gaz ».
La Commission de régulation de l’énergie a ainsi salué cette décision en considérant qu’« elle contribue au bon fonctionnement des marchés au bénéfice des consommateurs et stabilise le cadre juridique applicable aux contrats uniques donnant ainsi de la visibilité à tous les acteurs sur ce sujet »[13].
Le cadre juridique applicable aux prestations de clientèle prise en charge par les fournisseurs dans le cadre des contrats uniques pour le compte des gestionnaires de réseau est effectivement désormais clarifié. Toutefois de nouveaux litiges, portant sur le montant et le mode de calcul de cette rémunération, restent envisageables.
[1]Les contrats de fourniture faisant application des tarifs réglementés de vente d’électricité ou de gaz sont, par principe, des contrats « uniques » associant fourniture d’énergie et accès aux réseaux : article L.337-6 code de l’énergie
[2]Articles L.332-1 et L.224-1 du code de l’énergie.
[3]Article L.111-92 code de l’énergie.
[4]Délibération du 26 juillet 2012 portant communication relative à la gestion de clients en contrat unique abrogée par la délibération du 12 janvier 2017.
[5]Délibération du 3 mai 2016 portant communication relative à la gestion de clients en contrat unique
[6]CE Sect, 13 juillet 2016, société GDF Suez req n° 388150
[7]Délibérations n° 2017-236 portant décision sur la composante d’accès aux réseaux publics de distribution d’électricité pour la gestion de clients en contrat unique dans les domaines de tension HTA et BT à compter du Ier janvier 2018 et n ° 2017-239 du 26 octobre 2017 portant modification de la délibération de la CRE du 17 novembre 2016 portant décision sur les tarifs d’utilisation des réseaux publics d’électricité dans les domaines de tension HTA et BT publiées le jour même sur le site Internet du régulateur
[8]En vue de l’entrée en vigueur de ce nouveau cadre juridique, le régulateur avait alors adopté les délibérations n° 2018-011 et n°2018-012 du 18 janvier 2018 portant décision sur la composante d’accès aux réseaux publics de distribution d’électricité pour la gestion de clients en contrat unique dans les domaines de tension HTA et BT et sur la composante d’accès aux réseaux publics de distribution de gaz naturel pour la gestion de clients en contrat unique. Ces délibérations ont également fait l’objet de recours devant le Conseil d’Etat à l’initiative de plusieurs fournisseurs d’électricité.
[9]Article L.452-3-1 du code de l’énergie.
[10]Comme le permet l’article 61-1 de la Constitution, par un arrêt du 7 février 2019 (Cass Com, arrêt n° 242 du 7 février 2019), la chambre commerciale a renvoyé cette question devant le Conseil constitutionnel.
[11]Décision n° 2019-776 QPC du 19 avril 2019 Société Engie
[12]Rapport d’information déposé par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire en application de l’article 145-7 du Règlement sur la mise en application de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l’énergie et à l’environnement et présenté par MM. Jean-Charles COLAS-ROY et Christophe BOUILLON, enregistré le 11 avril 2019.
[13]Communiqué de presse de la CRE du 19 avril 2019
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